Arbitrage de différends en matière de propriété intellectuelle
Par Michael Erdle, Arb.A Méd.A, FCIArb
De nombreux avocats spécialisés en droit commercial écartent automatiquement la propriété intellectuelle des conventions d’arbitrage. Cependant, nombre de différends en matière de contrats portent sur une forme de PI et peuvent faire l’objet d’arbitrage de façon tout aussi efficace que les différends relatifs à toute autre modalité commerciale. Qui plus est, cet écartement peut entraîner des résultats inattendus. Certaines affaires récentes mettent en évidence les risques et les possibilités d’amélioration en ce qui a trait à l’arbitrage en matière de PI.
Quand je me chargeais de la négociation et de la rédaction de contrats de licence, je constatais souvent que les clients – et les avocats de l’autre côté – supposaient tout simplement que la propriété intellectuelle (PI) devrait être éliminée des clauses de résolution de différends. À l’époque, je considérais que c’était une erreur, et mon expérience à titre d’arbitre n’a fait que renforcer cette opinion.
Le premier problème, c’est qu’aujourd’hui, pratiquement tous les contrats commerciaux comportent des éléments de PI. Il pourrait s’agir de renseignements confidentiels, d’œuvres protégées par le droit d’auteur, de marques de commerce ou de brevets. L’étendue des droits accordés peut varier d’une simple licence à l’utilisation de la PI dans le cadre de contrats complexes portant sur le développement, la distribution ou l’approvisionnement et les services.
Comment pouvons-nous distinguer les droits relatifs à la PI de toutes les autres modalités commerciales? C’est impossible. En revanche, il n’est pas nécessaire d’y arriver.
En 2013, la Cour suprême du Canada a clairement indiqué qu’aucune raison liée aux politiques publiques n’empêche les parties d’opter pour l’arbitrage en cas de réclamations relatives à la PI (Desputeaux c. Éditions Chouette (1987) inc., 2003 CSC 17).
Les tribunaux canadiens, y compris la Cour fédérale, qui détient la compétence quant aux questions liées à la PI, s’en remettent généralement volontiers aux conventions d’arbitrage contractuelles.
En mars 2022, la Cour fédérale a mis en sursis les réclamations en matière de violation du droit d’auteur et de marque de commence relatives à un service de diffusion de contenus en ligne en faveur de l’arbitrage aux Bermudes. L’affaire General Entertainment and Music Inc. c. Gold Line Telemanagement Inc., 2022 FC 418 (CanLII) portait sur un contrat d’acquisition de contenu et de licence qui comportait la clause d’arbitrage. Parmi les nombreux éléments du différend figurait la question à savoir quels membres d’une complexe toile d’entreprises (des deux côtés) faisaient partie de ce contrat, si le contrat avait bel et bien été résilié, quelle était la portée de la clause d’arbitrage et si celle-ci avait encore de la valeur à la suite de la résiliation ainsi que si les droits en matière de PI du détenteur de licence avaient été violés en raison de l’utilisation continue du contenu sous licence.
Voici quelques autres exemples de types de différends relatifs à la PI qu’il est possible de résoudre grâce à l’arbitrage :
- Un cas de violation du droit d’auteur et de renseignements confidentiels, y compris des réclamations contre une partie liée considérée comme soumise à la clause d’arbitrage
(Xerox Canada Ltd. c. MPI Technologies Inc, 2006 CanLII 41006 [ON SC]); - Un différend quant à la validité de la cession du droit d’auteur dans une œuvre musicale : l’action en justice en Ontario a été mise en sursis en faveur d’un arbitrage au Royaume-Uni, comme l’exigeait le contrat de cession (Folkes c. Greensleeves Publishing Ltd., 1997 CanLII 12373 [ON SC]);
- Des allégations liées aux assertions inexactes en vertu d’une licence de brevet : selon les allégations, le détenteur de licence aurait fait des assertions inexactes au sujet de l’inventeur et du propriétaire (Université de Toronto c. Harbinson, 2005 CanLII 47089 [ON SC]);
- Des différends entre des membres de la faculté et un établissement scolaire en matière de propriété du droit d’auteur et des droits connexes : ces différends étaient soumis à un processus d’arbitrage de grief, selon une convention collective
(UBC c. Faculty Association, 2006 CanLII 92913 [BC LRB]; Wiebe c. Sask Institute of Applied Science and Technology, 2007 SKQB 60 [CanLII]).
Cependant, parce qu’il y a toujours un « mais », dans le cas de certains différends, l’arbitrage pourrait entraîner d’autres problèmes.
Dans l’affaire Avalanche Effects Inc. c. Visual Frameworks Inc., 2007 CanLII 290 (ON SC), la partie qui a eu gain de cause lors de l’arbitrage relatif à la propriété d’un logiciel a cherché à faire appliquer une injonction contre la partie perdante, ainsi qu’une autre société et plusieurs personnes qui ne faisaient pas partie de l’arbitrage au départ. La partie perdante était mise sous séquestre et les personnes n’étaient plus associées à elle. Le tribunal a refusé d’ajouter des tiers à l’action coercitive, mais a indiqué que le demandeur pourrait intenter une action distincte pour violation. C’est une maigre consolation pour le propriétaire de la PI qui avait remporté sa cause lors de l’arbitrage.
Dans l’affaire Clayworth c. Octaform Systems Inc. (2020 BCCA 117), une entreprise avait invoqué une clause de résolution de différends par étapes – la négociation, la médiation et l’arbitrage – en vertu d’un contrat d’embauche lors d’un différend relatif au secret commercial avec une ancienne employée. Quand l’entreprise a également intenté une action au civil pour obtenir une injonction et des dommages-intérêts pour violation de secrets commerciaux, l’employée a demandé un sursis de l’action en justice, en dehors des demandes d’injonction. Le contrat d’embauche excluait expressément toute réclamation « relative à des demandes par la Société d’une injonction judiciaire ou d’un autre type d’injonction en matière de protection ou d’application de la propriété intellectuelle, de renseignements confidentiels ou de clauses restrictives de la Société ». Le juge en cabinet a décidé que l’exclusion était suffisamment vaste pour englober les préjudices relatifs aux secrets commerciaux et a mis l’arbitrage en sursis. La Cour d’appel a déclaré que la décision était erronée et que certaines des réclamations devraient sans doute être soumises à l’arbitrage. Les demandes d’injonction ont pu être portées devant le tribunal, mais toutes les autres réclamations ont dû être mises en sursis « jusqu’à ce que l’arbitre termine le travail d’arbitrage avec les parties au contrat ». Le problème avec ce résultat, et avec la décision initiale d’exclure les réclamations en matière de PI du contrat d’embauche, c’est qu’il oblige les parties à poursuivre en parallèle des procédures judiciaires portant sur les mêmes enjeux.
Un avis contraire est présenté dans l’affaire Diversified Metal c. Trivett, 2005 PEISCTD 38 (CanLII). Dans ce cas, l’entreprise a demandé une injonction afin de limiter la divulgation de renseignements confidentiels par un ancien employé. Le contrat d’embauche comportait une clause qui prévoyait l’appel à l’arbitrage en cas de « tout différend relatif au présent contrat ou découlant de celui-ci ». Le tribunal a, d’après moi, eu tort de déclarer expressément qu’un arbitre ne pourrait pas accorder une injonction de la nature demandée et, pour cette raison, a assumé la compétence. Si, au lieu de s’adresser au tribunal, les parties avaient fait appel à l’arbitrage pour résoudre ce problème, l’arbitre aurait pu accorder cette injonction, au motif d’urgence au besoin, et le tribunal l’aurait probablement fait appliquer.
L’élément à retenir de ces affaires, parmi d’autres affaires récentes, c’est qu’il est difficile, voire impossible, de distinguer les enjeux relatifs à la PI d’autres conflits commerciaux lors d’un différend contractuel. Lorsqu’un contrat porte sur la PI, sous quelque forme que ce soit, les parties doivent se demander sérieusement si elles veulent faire appel à l’arbitrage ou au tribunal pour certains éléments ou l’ensemble du différend, en tenant compte des avantages et des limitations de chaque option.
Dans de nombreuses situations, l’arbitrage, qui représente un processus relativement court et moins coûteux, s’avère préférable, comparativement à une perspective de plusieurs années de litige.
S’ils optent pour l’arbitrage, les propriétaires de la PI doivent s’assurer que l’arbitre détient le pouvoir nécessaire pour prendre des mesures provisoires afin de mettre fin à tout préjudice imminent. Les deux parties doivent également veiller à ce que toute sentence prononcée puisse être appliquée de façon aussi générale que nécessaire. Si aucun de ces objectifs ne peut être atteint, le litige pourrait demeurer la seule possibilité.
Michael Erdle, Arb.A Méd.A, FCIArb est médiateur et arbitre indépendant, dont le travail se concentre sur les différends commerciaux relatifs à la technologie et à la propriété intellectuelle. Il a assuré la médiation et l’arbitrage dans le cadre de différends à l’échelle nationale et internationale en matière de brevets, de secrets commerciaux, de marques commerciales et de droit d’auteur.