Adjudication des dépens engagés dans le cadre de l’arbitrage
Par Neil Wittmann K.C.
Au Canada, dans le cadre des arbitrages nationaux, certaines lois, ou conventions d’arbitrage, peuvent conférer à un tribunal la compétence d’adjuger les frais en faveur d’une partie. Dans les cas où une convention d’arbitrage stipule que le tribunal peut accorder des frais, sans plus, la législation nationale des provinces diffère quant à la manière générale dont les frais doivent être accordés.
Les lois canadiennes sur l’arbitrage national ont des façons différentes de régir les dépens
L’article 53 de l’Arbitration Act de l’Alberta confère au tribunal la compétence d’accorder des dépens. Il stipule :
53(1) Le tribunal arbitral peut adjuger les dépens d’un arbitrage.
(2) Le tribunal arbitral peut adjuger tout ou partie des dépens d’un arbitrage sur la base des frais entre avocat et client, des frais entre les parties ou sur toute autre base. Toutefois, si la base n’est pas précisée, les dépens sont déterminés sur la base des frais entre parties.
(3) Les dépens de l’arbitrage comprennent les frais juridiques des parties, les honoraires et les frais du tribunal arbitral ainsi que tous les autres frais afférents à l’arbitrage.
En faisant référence à des termes tirés du contexte des litiges, tels que « avocat-client » et « partie-partie », cette disposition législative est pas particulièrement utile dans le contexte de l’arbitrage.
On trouve des dispositions semblables dans les lois sur l’arbitrage national du Manitoba[1], du Nouveau-Brunswick[2] et de la Nouvelle-Écosse[3]. Ces dispositions peuvent être comparées à celles d’autres territoires de compétence, notamment la Colombie-Britannique, dont l’Arbitration Act stipule[4] :
50(1) L’attribution de dépens peut se faire en tout temps durant l’instance arbitrale, y compris à la fin de l’instance, et peut être payable à tout moment.
(2) À moins que les parties n’en conviennent autrement, la détermination du montant des frais d’arbitrage devant être assumé par chaque partie est laissée à la discrétion du tribunal arbitral qui, lors de l’adjudication des dépens, peut :
(a) y inclure ce qui suit :
- (i) les honoraires et les frais des arbitres et des témoins experts;
- (1i) les honoraires juridiques et autres frais;
- (iii) les frais d’administration d’une institution;
- (iv) toute autre dépense engagée dans le cadre de la procédure arbitrale.
Des dispositions tout aussi exhaustives sont présentes dans les législations de l’Ontario[5] et de la Saskatchewan[6]. Ces dispositions stipulent que « Les dépens de l’arbitrage comprennent les honoraires d’avocat des parties, les honoraires et frais du tribunal arbitral, ainsi que tous les autres frais occasionnés par l’arbitrage[7]. »
Lorsqu’un tribunal se trouve face à une entente des parties selon laquelle les dépens peuvent être adjugés, sans plus, il est important, voire essentiel, que ce tribunal tienne compte de la loi applicable en matière d’arbitrage afin de déterminer la façon dont les dépens arbitraux sont traités dans la loi. Si une loi nationale s’applique, celle-ci peut régir tout l’éventail des dépens qu’un tribunal a la possibilité d’accorder. En Alberta, au Manitoba, au Nouveau-Brunswick ou en Nouvelle-Écosse, une partie qui n’a pas obtenu gain de cause peut faire valoir que les dépens « partie-partie » doivent être accordés, et non les dépens « avocat-client ».
Récente jurisprudence sur le fondement général de l’adjudication des dépens
Dans l’arrêt Allard c. Université de la Colombie-Britannique[8], la juge Douglas a examiné l’adjudication, par l’arbitre, d’honoraires et de débours raisonnables dans le cadre d’une demande d’autorisation d’interjeter appel. La juge Douglas a entamé son analyse en exposant les dispositions applicables de l’Arbitration Act[9]. Elle a également indiqué qu’une partie du « cadre juridique » régissant l’allocation des dépens était fournie par la règle 41 du Centre international de l’arbitrage commercial de Colombie Britannique (BCICAC)41. Ces dispositions indiquent qu’un arbitre peut préciser que les dépens comprennent les honoraires réels et raisonnables d’avocat ainsi que les débours et dépenses de la partie.
L’arrêt Allard portait sur une seule question, qui a été tranchée en faveur de l’Université de la C.-B. Après avoir examiné une bonne partie de la jurisprudence de la Colombie-Britannique sur le sujet, la juge Douglas a déclaré, au par. 78 :
Bien que les dépens relèvent du pouvoir discrétionnaire de l’arbitre, la « règle normale » en arbitrage est que la partie qui a gain de cause a droit à des « dépens d’indemnisation, à moins que des circonstances particulières ne justifient un autre type de dépens ». Cette conclusion est compatible avec le libellé explicite de la règle 41(2) du BCICAC, qui stipule que dépens normaux ou habituels accordés dans le cadre d’un arbitrage comprennent les honoraires raisonnables d’avocat et d’autres dépenses raisonnables engagées relativement à l’arbitrage, et de la règle 41(4), qui stipule que les dépens comprennent les honoraires raisonnables d’avocat et d’autres dépenses raisonnables engagées relativement à l’arbitrage. »
En outre, la juge Douglas, dans l’arrêt Allard, a renvoyé aux déclarations faites par le procureur général de la Colombie-Britannique lors de la présentation du projet de loi 76, The Attorney General Statutes Amendment Act (no 2), 1990[10] :
Une modification de la Commercial Arbitration Act clarifiera le pouvoir de l’arbitre d’accorder des dépens pour les honoraires réels et raisonnables d’avocat, les débours, les honoraires de l’arbitre, les honoraires des témoins experts et les dépenses liées à l’audience d’arbitrage. Il s’agit là d’une modification très intéressante. Elle permettra de préserver une caractéristique souhaitable de l’arbitrage, à savoir la possibilité pour une partie de recouvrer ses dépens réels. La modification contribuera à faire en sorte que la Commercial Arbitration Act demeure une option attrayante pour les gens d’affaires [soulignement ajouté].
L’arrêt Allard a été considéré comme incarnant le principe que la position « par défaut » dans un arbitrage national en Colombie-Britannique était le remboursement intégral des honoraires d’avocat et des dépenses de la partie ayant obtenu gain de cause, en l’absence d’autres critères pertinents.
Le concept découlant de l’arrêt Allard a été cité dans d’autres provinces, y compris en Alberta où la loi est formulée différemment – à l’appui de la proposition selon laquelle la « règle normale » en matière de dépens d’arbitrage est que la partie qui obtient gain de cause a droit au recouvrement de ses frais et débours réels et raisonnables. Un bon exemple de cela est la déclaration faite par la juge Shelley au paragraphe 38 de l’arrêt K-Rite Construction Ltd et 1856050 Alberta Ltd c. Enigma Ventures Inc.[11] :
En outre, la jurisprudence citée par la partie défenderesse suggère qu’en arbitrage commercial, l’indemnisation complète est la norme et qu’elle est compatible avec la proposition selon laquelle les parties avaient l’intention de conférer à l’arbitre le pouvoir discrétionnaire d’adjuger les frais d’avocat et de client.
Dans l’affaire Schickedanz c. Wagema Holdings Limited[12], la juge Vermette de la Cour supérieure de justice de l’Ontario s’est penchée sur la question de savoir si l’indemnisation de la totalité des dépens avait été accordée à juste titre par l’arbitre. La cour a déclaré, au paragraphe 9 :
Dans cette affaire, il n’y a aucune raison de ne pas accorder l’intégralité des frais d’avocat (…) et les frais du tribunal arbitral. Cela est conforme à la pratique normale dans les arbitrages commerciaux, en l’absence de dispositions autrement convenues par les parties, qui consiste à accorder une indemnisation complète des dépens engagés.
La cour poursuit et déclare, au paragraphe 47 :
(…) la jurisprudence d’autres provinces reconnaît que « l’indemnisation intégrale est la norme en ce qui concerne l’arbitrage commercial » : voir, par exemple, K-Rite Construction Ltd c. Enigma Ventures Inc, 2020 ABQB 566, par. 38, et Allard c. Université de la Colombie-Britannique, 2021 BCSC 60, par. 78.
Conclusion
Compte tenu du régime législatif en place en Alberta, au Manitoba, au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse, le fondement général de l’adjudication des dépens peut être vigoureusement contesté en l’absence d’une entente préalable entre les parties. Toutefois, en l’absence d’entente contraire, le fondement général d’une adjudication des dépens en arbitrage national évolue vers une norme d’indemnisation de la totalité des dépens raisonnables.
S’il est vrai que les paramètres encadrant la décision du tribunal seront fixés par la législation et les règles applicables sur la base de l’attribution des dépens, les parties doivent être encouragées à s’entendre sur le fondement général des dépens dans leur convention d’arbitrage, et ce, afin d’éviter d’importants litiges sur le sujet. Si les parties s’entendent à l’avance sur le fondement général de l’attribution des dépens, la question pourrait être réglée plus facilement au moment même où le tribunal prononce sa sentence sur le fond, plutôt qu’à la suite d’une audience et d’une série d’observations sur la question des dépens.
[1] Loi sur l’arbitrage, CPLM c. A 120.
[2] Loi sur l’arbitrage, LRN-B 2014, c 100.
[3] SNS 1999, c5 Commercial Arbitration Act.
[4] Arbitration Act, SBC 2020, c 2 comme suit.
[5] Arbitrage (Loi de 1991 sur l’), L.O. 1991
[6] SS 1992, a-24.1 The Arbitration Act, 1992, art. 53.
[7] Ibid., SO 1991, c17 s.54 (2); Ibid., SS 1992, art. 53.
[8] 2021 BCSC 60.
[9] RSBC 1996, c 55, art. 11.
[10] Allard, para 80.
[11] 2020 ABQB 566.
[12] 2023 ONSC 7219.
Neil Wittmann, K.C., est un ancien juge en chef à la Cour du banc du roi de l’Alberta. Il pratique la médiation et l’arbitrage à Calgary depuis 2018.