Arbitrage dans le domaine de la construction – la nouvelle pierre à l’édifice des PRD
L’arbitrage dans le domaine de la construction est un ajout récent et qui apporte de profonds changements au spectre des PRD – accélérant le règlement des différends dans le secteur de la construction.
I. Introduction
De profonds changements dans le domaine des pratiques de règlements des différends (PRD) ont eu lieu au Canada il y a quelques années : l’arbitrage dans le domaine de la construction. Sa mise en œuvre au Québec[1] et en Ontario[2] poursuit une tendance internationale à l’adoption de ce moyen opportun et rentable de résoudre des différends dans un secteur où les désaccords sont monnaie courante.
L’arbitrage dans le domaine de la construction a été introduit au Royaume-Uni en 1998 comme élément clé pour résoudre plusieurs problèmes du secteur de la construction, notamment les retards de paiement et la prolifération de différends prolongés et coûteux. Pendant de nombreuses années, le secteur canadien de la construction a fait l’objet de critiques similaires.
L’augmentation du coût et les retards pour résoudre les différends dans le domaine de la construction, par l’entremise des tribunaux ou de l’arbitrage, ont nécessité une nouvelle approche. Le succès de l’arbitrage dans le domaine de la construction au Royaume-Uni a conduit son adoption ailleurs, notamment en Australie, Irlande, en Nouvelle-Zélande et en Afrique du Sud.
Bien qu’il ne vise à remplacer les procédures de règlement des litiges ou d’arbitrage, il est reconnu et accepté comme un outil supplémentaire et efficace permettant de résoudre des différends dans le domaine de la construction et, par la même occasion, de soulager le fardeau des tribunaux.
Outre le Québec et l’Ontario, la Saskatchewan et l’Alberta ont introduit des régimes d’arbitrage dans le domaine de la construction en 2022.[3] Le gouvernement fédéral en a fait autant en décembre 2023.[4] Au Manitoba, au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse, les lois et les règlements en sont à différentes étapes d’adoption et d’examen.[5]
II. Qu’est-ce que l’arbitrage dans le domaine de la construction?
Les régimes d’arbitrage dans le domaine de la construction au Canada varient dans de nombreux aspects clés, mais présentent bien des points communs.[6]
A. Gouvernance
Le processus est géré et conçu en grande partie par des entités privées et habilitées par la loi, appelées Autorités (au Québec, c’est l’Institut de médiation et d’arbitrage du Québec [IMAQ], une entité affiliée à l’Institut d’arbitrage et de médiation du Canada, qui gère l’arbitrage dans le domaine de la construction). Ces Autorités disposent de prérogatives considérables à l’égard du processus d’arbitrage et des arbitres, comme ceux des organismes professionnels de réglementation. Ces prérogatives incluent :
- former, certifier et nommer les arbitres qui figureront sur les listes d’arbitres;
- nommer des arbitres pour des différends particuliers;
- la tenue de dossiers sur les arbitrages et de rapports annuels aux autorités gouverne-mentales; et
- établir et gérer :
- les politiques et les procédures qui régiront le processus d’arbitrage (p. ex., structures et formes des frais);
- les politiques de gouvernance liées aux arbitres (p. ex., plaintes, mesures disciplinaires et codes de déontologie);
- les sites Web offrant au public des documents éducatifs et pédagogiques sur le processus d’arbitrage; et
B. Questions pouvant faire l’objet d’un arbitrage
Seuls les différends liés à des contrats de construction peuvent faire l’objet d’un arbitrage dans le domaine de la construction. Les Règlements de l’Ontario, la Saskatchewan et l’Alberta précisent les types de différends contractuels pouvant être soumis à un arbitrage. Ils incluent les suivants :
- l’évaluation des services ou des matériaux;
- les problèmes de paiement, y compris concernant des ordres de modification;
- les montants des retenus;
- les problèmes de non-paiement découlant des dispositions de paiement rapide de la loi; et
- d’autres questions convenues par les parties.[7]
C. Procédure
L’émission d’un avis de renvoi à l’arbitrage déclenche une série d’échéances courtes établies par règlement (habituellement quelques jours ou quelques semaines), qui respectent les étapes du processus et se terminent par une résolution de l’arbitre (généralement appelée « décision »).
Les décisions peuvent être déposées puis appliquées, comme l’ordonnance d’un tribunal. En règle générale, entre 30 à 45 jours s’écoulent entre le début et la fin d’un arbitrage.
D. Pouvoirs des arbitres
Les pouvoirs d’un arbitre sont considérables et inquisitoires par nature, et incluent habituellement les suivants :
- fournir des orientations aux parties (souvent à des fins d’éclaircissements ou de soumissions supplémentaires);
- obtenir de l’information par l’entremise de recherches indépendantes;
- mener des inspections sur place;
- demander l’aide de professions du secteur de la construction;
- accorder des prorogations de délai pour des durées limitées;
- tirer des conclusions fondées sur la conduite des parties;
- répartir les coûts.
Les décisions s’appuient habituellement sur des observations et des documents écrits. Habituellement, les témoignages ne sont pas rendus sous serment.
E. Effets contraignants des décisions
L’effet contraignant d’une décision est souvent décrit comme « provisoire », parce que, selon la loi, elle sera annulée (ou suspendue) si se produisent certains événements[8], notamment :
- la délivrance de l’ordonnance d’un tribunal (Alberta) ou la décision rendue sur une question en ayant recours à un tribunal ou un arbitrage (Ontario);
- la décision est rejetée par un tribunal dans le cadre d’un contrôle judiciaire;
- les parties parviennent à un accord (Alberta);
- les parties nomment un arbitre (Alberta).
Au Québec, les parties disposent du droit inconditionnel d’intenter une procédure judiciaire ou arbitrale lorsqu’un arbitrage terminé. Si le différend donne lieu à une procédure judiciaire ou à un arbitrage après la décision, le tribunal ou l’arbitre ne sont aucunement liés par la décision et peuvent trancher sur la décision selon son bien-fondé.
III. En quoi l’arbitrage dans le domaine de la construction est-il comparable à l’arbitrage?
Il existe plusieurs similitudes entre l’arbitrage dans le domaine de la construction et l’arbitrage. Dans les deux cas :
- ils sont régis par les lois applicables;
- les règles de la preuve ne sont pas suivies aussi rigoureusement que dans une procédure judiciaire;
- les décisions peuvent être révisées par un tribunal par l’entremise d’un contrôle judiciaire;
- les résultats peuvent être appliqués par l’ordonnance d’un tribunal;
- les règles du justice naturelle et d’équité procédurale s’appliquent.
Toutefois, il existe des différences :
- Les renvois à l’arbitrage sont habituellement écrits et ne sont pas effectués sous serment, les documents pertinents étant simplement présentés en pièces jointes;
- les processus d’arbitrage dans le domaine de la construction sont conçus pour aboutir à une décision dans un délai de quelques semaines à quelques mois après le début du processus.
- Les décisions sont contraignantes, mais seulement de façon provisoire;
- dans le domaine de la construction, les arbitres sont légalement tenus d’être formés, certifiés et inscrits sur une liste par une autorité alors que les organismes de PRD n’ont pas le même pouvoir sur les arbitres ou le processus d’arbitrage.
IV. Conclusion
L’arbitrage dans le domaine de la construction ne vise pas à remplacer le processus judiciaire ou d’autres formes de résolution des différends. Tous ont leur place dans le système de règlement des différends au Canada. L’arbitrage dans le domaine de la construction est une façon nouvelle et différente de régler des différends, la « nouvelle pierre à l’édifice des PRD ». Même si les décisions ne sont que provisoirement contraignantes, nous savons par expérience qu’une fois celles-ci rendues, seule une minorité de cas sont finalement portés devant un tribunal ou font l’objet d’un arbitrage. L’arbitrage dans le domaine de la construction constitue une solution robuste, opportune et rentable de résolution des différends dans ce secteur. Il continuera certainement de gagner en popularité dans tout le pays.
[1] Le projet de loi 108, une Loi favorisant la surveillance des contrats des organismes publics et instituant l’Autorité des marchés publics, 1re session, 41e lég. Québec, approuvé le 1er décembre 2017, LQ 2017, c 27
[2] Projet de loi 142, Loi de 2017 modifiant la Loi sur le privilège dans l’industrie de la construction, L.O. 2017, chap. 24.
[3] 21 mars 2022, en Saskatchewan, Builders Lien Act, art. 85-86 (1984), c. B -7.1, Builders Lien Regulations, RRS, c. B -7, Reg. 1 et Prompt Payment and Construction Lien Act du 29 août 2022, RSA 2000, c. P -26.4, Prompt Payment and Adjudication Regulation, AR. 23/2022.
[4] Loi fédérale sur le paiement rapide des travaux de construction, L.C. 2019, ch. 29, art. 387 et Règlement fédéral sur le paiement rapide des travaux de construction (règlement des différends) (DORS/2023-271)
[5] Pour tout savoir sur l’état des lois dans ces régions, voir : Glen Ackerley et Kathleen Gregus, « Cross Jurisdictional Legislative Comparison of Prompt Payment and Adjudication Regimes Across Canada », novembre 2023, un rapport produit pour la British Columbia Construction Association (en anglais).
[6] Le présent article ne se veut ni une comparaison exhaustive des régimes de paiement rapide ou d’arbitrage au Canada ni un guide sur les dispositions particulières en la matière. Pour obtenir une telle comparaison, voir : Ibid. Glen Ackerley et Kathleen Gregus.
[7] Voir, par exemple, article 19 du Prompt Payment and Adjudication Regulation de l’Alberta, ci-dessus, note de bas de page 5. Au Québec les parties sont libres de soumettre à l’arbitrage n’importe quel « différend qui ne peut être résolu à l’amiable ».
[8] La Cour du Banc du Roi de l’Alberta dans Welcome Homes Construction Inc. c. Atlas Granite Inc. 2024 ABKB 301, suggère que les décisions des arbitres sont « définitives et contraignantes ». Il reste à voir s’il s’agissait bel et bien d’une décision contraignante du tribunal et la mesure dans laquelle celle-ci influence les arbitrages suivants ou les décisions des tribunaux.
Barrie Marshall KC est un avocat retraité qui offre actuellement des services d’arbitrage et de médiation à temps partiel dans le domaine de la construction. Barrie a exercé le droit pendant 42 ans, dont la majeure partie dans le domaine du règlement des différends.