Comment ne pas rédiger de clauses de règlement des différends dans les contrats types
Par James Plotkin, Arb.B
Cet article aborde la question de la force exécutoire des clauses de règlement des différends dans les contrats d’adhésion à la lumière de la récente décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire Binance Holdings c. Lochan.
Contexte
Binance Holdings exploite la plus grande plateforme de négociation de cryptomonnaies au monde. De 2019 à 2022, elle a vendu des dérivés de cryptomonnaies à des Canadiens par l’intermédiaire de son site Web. Ce site Web se vantait que les utilisateurs pouvaient créer un compte en « moins de 30 secondes », même si les utilisateurs de Binance ne pouvaient pas procéder sans accepter environ 50 pages de conditions, y compris une convention d’arbitrage.
Les représentants des demandeurs ont intenté une action collective en valeurs mobilières en alléguant que Binance n’avait pas déposé ou remis de prospectus, contrairement aux obligations qui lui incombent en vertu des lois sur les valeurs mobilières. Binance a demandé la suspension de l’action collective proposée sur la base de la convention d’arbitrage figurant dans les conditions de son site Web.
Refus des tribunaux de l’Ontario de renvoyer l’action collective proposée en faveur de l’arbitrage
Le juge des requêtes a rejeté la requête en sursis, estimant que la convention d’arbitrage est déraisonnable et contraire à l’ordre public pour les raisons suivantes :
- la déclaration de Binance selon laquelle un utilisateur peut ouvrir un compte en « moins de 30 secondes », tout en attendant de l’utilisateur qu’il soit lié par un contrat de près de 50 pages;
- l’imposition par la convention d’arbitrage que l’utilisateur accepte d’avance que Binance puisse modifier toute partie de la convention d’arbitrage sans préavis, avec effet contraignant;
- la modification à quatre reprises par Binance, au cours de la période de l’action collective proposée, du forum d’arbitrage et du droit applicable. Le dernier de ces changements prévoyait un arbitrage à Hong Kong en vertu du droit de Hong Kong, administré par le Centre d’arbitrage international de Hong Kong. Le coût administratif était prohibitif : pour les litiges inférieurs à 1 million de dollars américains, le coût moyen était de 26 743 dollars américains (environ 36 000 dollars canadiens). Ce montant excluait les autres frais accessoires, comme les frais de déplacement et d’hébergement, les honoraires d’avocat, etc.
La Cour d’appel a confirmé la décision du juge des requêtes, rejetant les trois arguments de Binance.
Tout d’abord, Binance a soutenu que le juge des requêtes avait commis une erreur en n’appliquant pas le principe de compétence-compétence, selon lequel le tribunal arbitral peut et doit généralement évaluer les contestations de sa compétence ou de la validité de la convention d’arbitrage avant que l’affaire ne soit portée devant un tribunal.
La Cour n’a trouvé aucune erreur. Le juge des requêtes a appliqué le cadre adopté par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Dell Computer Corp. c. Union des consommateurs, 2007 CSC 34, et Uber Technologies Inc. c. Heller, 2020 CSC 16, applicable à l’évaluation des requêtes en sursis. Selon ce cadre, la cour devrait renvoyer la contestation au tribunal arbitral à moins que la résolution de la contestation exige une pure question de droit ou une question mixte de fait et de droit ne requérant qu’une évaluation superficielle du dossier.
Les arrêts Dell et Uber permettent également à un tribunal de procéder à l’évaluation lorsque la partie qui s’oppose à un sursis n’aurait pas, en pratique, la possibilité de soulever la question devant le tribunal arbitral. Il en sera ainsi si les coûts et autres charges constituent un « mur de briques » pour la partie qui conteste. Le juge des requêtes a estimé que c’était le cas en l’espèce et la Cour d’appel n’a vu aucune raison de modifier cette conclusion.
Ensuite, Binance a soutenu que le juge des requêtes était allé au-delà de l’évaluation d’une question de droit et avait examiné les faits particuliers en cause.
Là encore, la Cour a rejeté cet argument, estimant que le juge des requêtes s’était informé correctement sur le cadre Dell et Uber. Elle a estimé que, dans la mesure où le juge des requêtes a examiné le dossier, il n’est pas allé au-delà de l’examen superficiel autorisé par Dell et Uber.
Enfin, Binance a essentiellement reformulé le deuxième argument, déclarant que le juge a dépassé la portée d’un examen superficiel du dossier en concluant que la convention d’arbitrage érigeait un « mur de briques » empêchant les membres de l’action collective proposée d’accéder à l’arbitrage. Binance a également soutenu que le juge des requêtes aurait dû prendre en compte les circonstances particulières du représentant des demandeurs plutôt que celles généralement applicables à tous les membres de l’action collective pour déterminer si la clause interdisait l’accès à l’arbitrage.
La Cour a rejeté cet argument sur la même base que les autres. Elle n’a pas trouvé d’erreur manifeste et dominante dans la décision du juge des requêtes d’évaluer la convention d’arbitrage « en fonction de l’investisseur type en cryptomonnaies et de la nature des différends susceptibles de survenir en vertu de la clause d’arbitrage ».
Principaux enseignements
À bien des égards, cette affaire est une application directe du cadre des arrêts Dell et Uber. Toutefois, il est intéressant d’examiner dans quelle mesure une conclusion d’iniquité peut ou doit être faite dans le cadre d’une action collective. D’une part, la position de Binance semble assez solide. Le caractère inique repose sur une analyse intrinsèquement factuelle qui tient compte des circonstances de la partie qui conteste la requête en sursis (ainsi que de la partie qui demande le sursis et invoque la convention d’arbitrage).
Par ailleurs, il est difficile de blâmer la Cour. Dans l’arrêt Uber lui-même, la Cour suprême du Canada a évalué l’iniquité en se fondant sur la situation du représentant des demandeurs, et non sur celle de chaque membre potentiel de l’action collective. La différence ici est que la Cour n’a pas pris en compte les circonstances particulières du représentant des demandeurs proposé comme dans l’arrêt Uber. Elle a plutôt évalué la question « en fonction de l’investisseur type en cryptomonnaies et de la nature des différends susceptibles d’être soulevés en vertu de la clause d’arbitrage ».
Cette solution au problème de l’évaluation de l’iniquité dans le contexte d’une action collective, surtout lorsque les membres de celle-ci ne partagent pas tous les mêmes caractéristiques essentielles, semble être une solution pratique et approximative. Contrairement à Uber, qui s’adressait à des conducteurs de véhicules de covoiturage aux revenus généralement plus modestes, les moyens et les capacités de la clientèle de Binance, des négociants en cryptomonnaies de différents degrés de richesse et de sophistication, peuvent varier dans une plus large mesure. Il serait difficilement soutenable de les évaluer sur une base individuelle. En effet, cette démarche irait à l’encontre de l’objectif du processus de certification des actions collectives, dans la mesure où ces personnes font toutes partie d’une catégorie identifiable.
Cette affaire offre également une leçon sur la manière de ne pas structurer une convention d’arbitrage exécutoire dans un contrat d’adhésion. Les termes utilisés ici semblent ériger le même mur de briques qualifié d’exception à la règle dans l’arrêt Uber, selon laquelle le tribunal arbitral doit évaluer une contestation de sa compétence ou de la convention d’arbitrage en première instance. La jurisprudence postérieure à l’arrêt Uber révèle des moyens par lesquels Binance aurait pu atténuer le risque de l’obstacle de l’iniquité et de l’ordre public.
Par exemple, dans l’affaire Difederico c. Amazon.com, Inc., 2022 CF 1256 (confirmé par 2023 CAF 165), la Cour a rejeté l’argument de l’iniquité. Dans cette affaire, la convention d’arbitrage était beaucoup moins onéreuse. Elle fixait des frais de dossier modestes de 200 dollars, qu’Amazon rembourserait pour les réclamations inférieures à 10 000 dollars. Elle prévoyait aussi expressément que l’arbitrage pouvait se dérouler par écrit, par téléphone ou dans un lieu convenu. La clause préservait également la possibilité pour le client d’intenter une action devant la cour des petites créances de son pays d’origine.
Les avocats seraient bien avisés d’examiner l’affaire Difederico et d’autres affaires semblables (par exemple, Williams c. Amazon.com Inc., 2023 BCCA 314 et Petty c. Niantic Inc., 2023 BCCA 315) lorsqu’ils rédigent des clauses de règlement des différends dans des contrats types.
James Plotkin est associé chez Gowling WLG, S.E.N.C.R.L., s.r.l. Sa pratique est axée sur l’arbitrage à l’échelle nationale et internationale, le litige en propriété intellectuelle et le droit administratif. Il a publié de nombreux articles sur des sujets liés à l’arbitrage et est co-auteur d’un commentaire sur la législation ontarienne en matière d’arbitrage international et national.