Lorsque la médiation est une course contre la montre
Par Melissa Kinzler
Dans sa présentation intitulée « Mediating Against the Clock » (la médiation, une course contre la montre), Melissa Kinzler examine les pressions uniques que créent les négociations assujetties à la rapidité d’action ainsi que les pièges potentiels liés à la recherche d’un terrain d’entente dans l’urgence. Elle souligne l’importance de se concentrer sur les intérêts sous-jacents des parties en faisant appel à des normes objectives et en simplifiant la communication en vue d’atténuer le risque de négociation serrée et d’érosion de la confiance. Melissa Kinzler propose des stratégies pratiques qui permettent d’équilibrer le besoin d’efficacité et la poursuite de résultats durables et constructifs, même sous la contrainte du temps.
Pratiquer la médiation dans un contexte de contraintes temporelles est un défi des plus complexes, et les risques associés à la volonté de se précipiter vers une entente trouvent écho dans une grande partie de mon expérience en tant que professionnelle de la résolution de conflits, que ce soit en exercice privé, dans des salles de conférence de haut niveau, devant la Cour fédérale ou à l’échelle internationale. Les délais serrés peuvent pousser les parties à se précipiter dans le processus, laissant peu de place à la créativité et à la profondeur de réflexion qu’exige l’obtention d’accords pertinents. Pourtant, en utilisant les bonnes stratégies, il est possible de trouver un équilibre entre le besoin d’efficacité et la poursuite de résultats complets et durables. Mon expérience en tant que médiatrice commerciale m’a montré que les négociations sous pression temporelle nécessitent une redéfinition des priorités. Il ne s’agit pas de créer des raccourcis, mais plutôt d’établir une stratégie extrêmement focalisée visant à rationaliser la communication et la prise de décision. S’il est vrai que la médiation contre la montre nécessite un niveau élevé d’efficacité, elle n’en exige pas moins une hiérarchisation prudente et stratégique des priorités, et ce, afin de ne pas ébranler au hasard la qualité de la négociation. Examinons ensemble les approches qui m’ont semblé efficaces lorsque le compte à rebours est commencé. Évaluons les risques associés à la précipitation et profitons de quelques conseils qui nous aideront pour limiter les dégâts lorsque l’heure tourne.
Hiérarchiser les intérêts clés
Lorsque le temps presse, l’avancement dépend davantage de la concentration sur les intérêts plutôt que sur les positions. Comme l’affirment Roger Fisher, William Ury et Bruce Patton, auteurs du livre Comment réussir une négociation (titre original : Getting to Yes), il est absolument fondamental de déterminer les intérêts sous-jacents, et ce, même en présence de délais serrés. Dans ma pratique attribuer la priorité aux questions clés sous-jacentes dès le départ permet de gagner du temps sur les positions, les attitudes et les égos de surface. Le fait de cibler des discussions sur les intérêts et non sur les positions permet d’aligner rapidement les parties sur des solutions durables.
Réaffirmer la MESORE et la PISORE
La pression peut obscurcir le jugement et inciter les parties à négliger la recherche de solutions de rechange ou encore, à se contenter de résultats moins avantageux. C’est alors qu’il devient critique de réaffirmer la MESORE (meilleure solution de rechange à un accord négocié) et la PISORE (pire solution de rechange à une entente négociée) de chaque partie. Comme le souligne Ury, la clarté des solutions de rechange offertes aux parties permet de s’assurer que personne n’est contraint de conclure un accord boiteux ni de laisser de la valeur sur la table. Cette réaffirmation permet aux parties de se recentrer et de prendre des décisions éclairées.
Rationaliser la communication
Dans les situations où la pression est élevée, il arrive que les médiateurs ressentent le besoin de répondre à toutes les préoccupations ou à toutes les craintes. Certes, ces sentiments sont importants, mais les négociations qui se déroulent dans un laps de temps très court nécessitent souvent une communication rationalisée. En me fondant sur les conclusions auxquelles sont arrivés Heen, Patton et Stone dans leur ouvrage intitulé Difficult Conversations, j’incite les parties à se concentrer sur les questions prioritaires et à exprimer leurs préoccupations de manière directe. Cette façon de faire, parce qu’elle permet d’éviter les détours inutiles et de maintenir la discussion dans la bonne direction, procure la certitude que les questions les plus importantes sont abordées. L’utilisation d’une structure de communication condensée empêche de se perdre en détours inutiles et permet aux parties de garder le cap.
Les risques inhérents
Alors que ces stratégies peuvent s’avérer très utiles lorsque la médiation se transforme en une course contre la montre, elles comportent également des risques. Lorsque le temps est compté, le risque de passer à côté d’éléments critiques est toujours présent, et ce, même si les raccourcis sont établis de façon stratégique.
Des intérêts sous-jacents passés inaperçus
La médiation contre la montre peut faire en sorte que les médiateurs et les négociateurs brûlent les étapes et ferment les yeux sur des préoccupations affectives plus profondes. Certains diront que si ces questions sous-jacentes ne sont pas abordées, la résolution risque d’être fragile et de déboucher sur des accords instables, ou pire, de créer de futurs conflits. Lorsqu’ils sont sous pression, les négociateurs peuvent se satisfaire de conditions moins favorables simplement pour respecter l’échéance et passer outre aux meilleures options qui auraient pu être élaborées s’ils avaient disposé de plus de temps.
La négociation fondée sur les positions
D’après mon expérience, un des plus grands maux de la négociation précipitée est la perte de créativité dans la résolution de problèmes. La nécessité de faire vite conduit souvent les parties à se rabattre sur la négociation positionnelle, qui met l’accent sur les concessions plutôt que sur l’exploration de solutions novatrices et gagnant-gagnant. L’expérience m’a montré que le fait de précipiter une négociation donne généralement de moins bons résultats, car les parties n’ont pas le temps de se confronter en séances de remue-méninges et dévaluer des solutions créatives. À la place, les parties s’en remettent souvent aux négociations fondées sur les positions. À défaut de disposer d’un délai suffisant, les parties sont plus enclines à laisser de la valeur sur la table et, comme j’ai pu le constater, cela n’apporte rien de bon à ni l’une ni l’autre des parties.
Érosion de la confiance
Les contraintes de temps peuvent également saper la confiance. Comme le soulignent les auteurs de Difficult Conversations, la confiance est un sentiment qui se construit avec le temps, à force de compréhension et de communication attentive. Lorsqu’elles sont accélérées, les négociations peuvent donner lieu à un sentiment de méfiance chez les parties concernées, qui peuvent alors se sentir incomprises ou rejetées. J’ai pu constater, dans le cadre de ma pratique, que cette situation est particulièrement problématique dans les secteurs où les relations à long terme sont fondamentales et où l’érosion de ces relations peut avoir des conséquences durables sur la collaboration future. Dans la plupart des secteurs, les acteurs clés forment des cercles très restreints, et pour ceux qui occupent des positions de premier plan, aider les parties à préserver la capacité de collaboration future est un « jeu qui se joue sur le long terme », décennie après décennie, dans leurs secteurs d’activité respectifs.
Le risque inhérent à la négociation positionnelle
Les délais serrés poussent souvent les parties à se retrancher dans la négociation positionnelle, une situation où chaque partie présente des demandes et fait des concessions sans tenir compte des intérêts sous-jacents. Il peut aussi arriver que sous la pression du temps, les négociateurs réduisent leur champ de vision et développent des angles morts. Ils peuvent adapter à un état d’esprit de gagnant-perdant, se concentrer sur les gains à court terme ou tout simplement chercher à éviter les pertes immédiates. Voilà qui vient réduire la probabilité d’en arriver à des solutions mutuellement avantageuses et accroître les possibilités de créer des accords non durables qui résistent à l’épreuve du temps.
Atténuation du risque
Malgré toutes ces difficultés, les négociations asservies au temps peuvent tout de même s’avérer productives si elles sont gérées adéquatement. Voici quelques conseils qui m’ont été utiles pour atténuer les risques :
Clarifier les intérêts de façon précoce
En déterminant sans tarder les intérêts sous-jacents cruciaux des deux parties, les négociateurs peuvent consacrer le peu de temps qu’ils ont à ce qui compte vraiment.
Fixer des échéances provisoires
Lorsque cela est possible, il est bon de fixer des échéanciers en vue de susciter un élan, mais il faut prévoir des réunions ou des séances de suivi pour s’assurer que les questions plus complexes sont abordées comme il se doit. C’est une façon d’éviter la conclusion d’accords incomplets.
Utiliser des critères objectifs
L’utilisation de critères objectifs, comme les précédents jurisprudentiels ou les normes de l’industrie, est inestimable dans les négociations liées à la rapidité d’action. Des repères neutres permettent de résoudre efficacement les litiges et d’éviter les arguments subjectifs et chargés d’émotivité. Par exemple, l’utilisation des taux du marché ou de contrats comparables en tant que critères objectifs permet de rompre rapidement les impasses, de résoudre efficacement les différends, d’offrir un cadre propice à la prise de décision rapide et, au bout du compte, d’économiser du temps.
Un exercice d’équilibre
La médiation contre la montre est toujours un exercice d’équilibre entre l’efficacité et la rigueur. Alors que les contraintes de temps peuvent imposer la prise de décisions, elles comportent également le risque d’occasions ratées, de relations affaiblies et de résultats moins favorables. Toutefois, en se concentrant sur les intérêts, en utilisant des critères objectifs et en rationalisant la communication, il est possible de surmonter ces contraintes. Bien souvent, la meilleure solution consiste à trouver le juste milieu, à utiliser la médiation contre la montre pour se concentrer sur ce qui compte vraiment, tout en organisant des séances de suivi pour aborder les questions plus complexes. Certes, les négociations menées sous la pression du temps ne seront jamais la solution idéale, mais avec les bonnes stratégies, elles peuvent tout de même mener à l’obtention de résultats productifs et constructifs.
Melissa Kinzler est médiatrice commerciale dans l’État de Californie. Elle se spécialise dans la résolution de litiges portant sur la propriété intellectuelle, les opérations des banques commerciales et les litiges commerciaux. Pour communiquer avec Melissa, suivez-la à l’adresse www.linkedin.com/in/melissakinzler.