Clauses de résolution multiétapes des différends : Conditions, cas et points utiles à retenir
Par Timothy St. John Ellam, c.r., FCIArb and Sandra Aigbinode Lange, ACIArb
Les clauses de résolution multiétapes des différends introduisent des méthodes progressives de résolution des conflits, qui aboutissent généralement à l’arbitrage obligatoire. Si ces clauses peuvent améliorer les efforts de résolution des conflits, elles peuvent aussi compliquer les procédures en introduisant de l’incertitude. Par exemple, lorsqu’une partie refuse de se conformer aux étapes préarbitrales, l’affaire est-elle mûre pour l’arbitrage? Le délai de prescription d’une action commence-t-il après la naissance du litige ou après la fin des mesures préarbitrales? La récente jurisprudence apporte un éclairage supplémentaire. En fin de compte, les enjeux étant considérables dans les accords commerciaux complexes, les rédacteurs doivent être vigilants lorsqu’ils formulent des clauses de règlement des différends.
Introduction
Dans le cadre d’accords commerciaux complexes, des ressources, des relations et des délais significatifs sont en jeu. Et dans ces circonstances, des méthodes efficaces de résolution des litiges peuvent avoir des conséquences très importantes. Les rédacteurs de contrats envisagent souvent des clauses de résolution multiétapes avec des méthodes progressives de résolution des conflits dans le but d’augmenter les chances d’une résolution efficace et rentable. Dans des circonstances idéales, les clauses de résolution multiétapes des différends peuvent aider les parties à résoudre les conflits à l’amiable et leur procurer un confort commercial. Cependant, dans des circonstances moins idéales, ces clauses peuvent compliquer et retarder les procédures, et empêcher des recours autrement accessibles.
Ces dernières années, des tribunaux arbitraux et des cours de justice du monde entier se sont saisis de diverses affaires qui ont jeté les bases des clauses de résolution multiétapes des différends et apporté des éclaircissements sur les questions de prescription qui se posent relativement à ces clauses.
Contexte et questions clés
Les clauses de résolution des différends multiétapes, à plusieurs niveaux ou progressives sont des dispositions contractuelles qui obligent les parties à suivre des procédures spécifiques avant d’entamer une procédure d’arbitrage.[1] Ces procédures peuvent comprendre une ou plusieurs étapes et vont des discussions amicales et des périodes de « réflexion » aux négociations et aux médiations.
Lorsqu’une partie refuse de se conformer aux étapes préarbitrales stipulées et demande prématurément l’arbitrage, les ramifications peuvent être importantes et peuvent empêcher une partie d’exercer des droits qu’elle aurait autrement. La question est de savoir si les mesures préarbitrales sont obligatoires ou simplement facultatives.
Si le tribunal estime que les mesures préarbitrales sont une étape nécessaire, c’est-à-dire une condition préalable, qui doit être réalisée avant qu’une partie puisse entamer un arbitrage, et que le demandeur est incapable de prouver que cette condition préalable a été réalisée, alors la notification d’arbitrage sera prématurée et le tribunal arbitral pourrait ne pas être compétent.
Lorsqu’un conflit survient en raison du non-respect des étapes préarbitrales, la principale question que le tribunal arbitral doit trancher est de savoir si la contestation est liée à la compétence ou à la recevabilité. La jurisprudence récente conclut qu’une allégation selon laquelle une étape préarbitrale n’a pas été respectée est considérée comme une question de recevabilité et non de compétence. Le tribunal arbitral conserve sa compétence et peut choisir de suspendre la procédure jusqu’à ce que les étapes préarbitrales soient franchies.
Un autre problème qui se pose est l’incertitude quant à l’application des délais de prescription en raison de la difficulté pour déterminer quand les étapes préarbitrales, telles que les négociations, sont terminées. Des décisions judiciaires récentes ont fourni davantage d’information à ce sujet.
Développements juridiques récents
Le défaut d’achèvement des étapes préarbitrales est une question de recevabilité.
Dans l’affaire Republic of Sierra Leone v SL Mining Ltd,[2] la Haute Cour anglaise («E EEHC ») a déclaré que la question n’était pas de savoir si la demande elle-même était arbitrable mais si elle était recevable en raison de la prématurité de la procédure. La EWHC a convenu avec le tribunal arbitral que si la période de négociation est considérée comme une condition préalable à l’arbitrage, « il ne pourrait donc s’agir que d’une question de procédure, c’est-à-dire d’une question de recevabilité de la demande, et non d’une question de compétence ».[3]
Dans l’affaire NWA v NVF,[4] la question soumise à l’EWHC était de savoir si le non-respect par une partie d’une clause d’une convention d’arbitrage prévoyant une médiation préalable du litige avant de le soumettre à l’arbitrage entraîne l’incompétence du tribunal arbitral à décider des questions du litige ou ne concerne qu’une contestation de la recevabilité du litige. La Cour a conclu que le non-respect de la convention est une question de recevabilité qu’il appartient au tribunal de trancher. La Cour a noté qu’une conséquence de l’interprétation du respect des mesures préarbitrales comme une question de compétence est que, lorsqu’une partie refuse de se conformer aux mesures préarbitrales, « le tribunal ne serait jamais compétent pour connaître du litige, bien que les parties aient clairement convenu d’arbitrer leurs différends. »[5]
L’importance du contexte dans la détermination des délais de prescription
Les tribunaux ont toujours préconisé l’approche au cas par cas lorsqu’il faut déterminer si un délai de prescription est écoulé. Les tribunaux examineront le libellé de la clause d’arbitrage et tiendront compte du contexte dans lequel elle a été négociée. Par exemple, dans l’affaire Maisonneuve v. Clark,[6] la Cour d’appel de l’Ontario a confirmé la décision d’un tribunal de première instance selon laquelle le délai de prescription du litige a commencé lorsque Maisonneuve s’est rendu compte, ou aurait dû se rendre compte, que les démarches préarbitrales n’aboutiraient pas, compte tenu des communications entre les avocats des parties.
La Cour d’appel de l’Ontario a déclaré « … que les appelants [Clark] avaient la possibilité de faire savoir aux intimés [Maisonneuve] à tout moment qu’aucune autre négociation n’aurait lieu. C’est d’ailleurs ce qui s’est produit en janvier 2018, ce qui, selon le juge saisi de la demande, a déclenché le début du délai de prescription. »[7] À ce titre, la Cour d’appel de l’Ontario a conclu que le juge de première instance n’avait pas commis d’erreur en jugeant que les démarches préarbitrales étaient une condition préalable à l’arbitrage et que le délai de prescription commençait lorsque ces démarches préarbitrales étaient contrariées.
Précautions à prendre par les rédacteurs de clauses de résolution multiétapes des différends
Pour limiter les problèmes évoqués ci-dessus, voici quelques recommandations en matière de rédaction :
- Rédiger des échéances et des limites claires pour chaque étape préarbitrale;
- Préciser si les étapes préarbitrales sont une « condition préalable » pour entamer un arbitrage;
- Tenir compte des enjeux de prescription éventuels qui pourraient exclure un arbitrage;
- Limiter le nombre d’étapes formalisées dans les clauses à plusieurs étapes afin de réduire les obstacles procéduraux; et
- Inclure une clause stipulant que si une solution n’est pas trouvée dans un délai donné, l’affaire sera soumise à un arbitrage final.
[1] George M Vlavianos et Vasilis F L Pappas, “Multi-Tier Dispute Resolution Clauses as Jurisdictional Conditions Precedent to Arbitration” dans William Rowley, éd, The Guide to Energy Arbitrations (2017) at 218.
[2] Republic of Sierra Leone c SL Mining Ltd, [2021] EWHC 286 (Comm) [“SL Mining”].
[3] SL Mining, supra, note 1, paragr. 21.
[4] NWA v NVF, [2021] EWHC 2666 (Comm) [« NWA »].
[5] NWA, supra, note 4, paragr. 39.
[6] Maisonneuve v. Clark, 2022 ONCA 113 [« Maisonneuve »].
[7] Maisonneuve, supra, note 6, paragr. 15.
Timothy St. John Ellam, c.r., FCIArb est associé au sein du groupe Litige et arbitrage de McCarthy Tétrault à Calgary et à Londres et coprésident du groupe de pratique en arbitrage international du cabinet.
Sandra Aigbinode Lange, ACIArb, est une associée principale du bureau de Calgary de McCarthy Tétrault et l’une des deux co-rédactrices du blogue sur l’arbitrage international publié par le groupe de pratique en arbitrage international de McCarthy Tétrault.
Les auteurs tiennent à souligner l’aide précieuse de Mirabelle Harris-Eze, étudiante participant au programme d’été chez McCarthy Tétrault (Université de Calgary, Faculté de droit).