Gestion de la résolution multiétape des différends
Par Mihai Tomos
Les dispositions de résolution multiétape des différends sont de plus en plus courantes dans les contrats commerciaux. De nombreuses ententes exigent que les parties mènent une ou plusieurs négociations avec la direction, des discussions avec les hauts dirigeants, une détermination par un expert ou une médiation officielle avant de recourir à l’arbitrage ou à la procédure judiciaire. Ces étapes peuvent contribuer à préserver les relations à long terme entre les parties. En outre, ces dispositions permettent souvent de résoudre les différends rapidement et de manière très économique. Toutefois, elles peuvent elles-mêmes être à l’origine de désaccords. Le présent article examine les problèmes que peuvent poser ces dispositions.
Démarches obligatoires ou facultatives
Une question fréquente est de savoir si les parties doivent franchir les étapes initiales de la résolution des différends avant de passer à la procédure finale, qui est contraignante. Les parties doivent déterminer si leur entente prévoit des étapes obligatoires ou facultatives de résolution multiétape des différends.
Sans surprise, la réponse à cette question dépend du libellé de l’entente.
Par exemple, la Cour supérieure de l’Ontario a récemment jugé qu’une clause ne constituait pas une condition préalable obligatoire à l’arbitrage. [1] La disposition en question stipulait que la procédure de règlement des différends commençait par la remise d’un « avis de différend ». Elle prévoyait également que les parties devaient ensuite tenter de résoudre le différend dans le cadre d’une réunion de règlement, faute de quoi elles devaient le soumettre à l’arbitrage. [2]
La Cour considère que les étapes prévues par les dispositions multiétapes ne constituent qu’une voie vers la résolution du différend, et non des conditions préalables obligatoires à l’arbitrage.
En revanche, dans l’affaire PQ Licensing c. LPQ Central, la Cour d’appel de l’Ontario affirme que l’arbitrage ne devient pas un recours « approprié » tant que la condition préalable de la médiation n’a pas été remplie. [3] Dans cette affaire, la disposition de règlement des différends prévoit qu’« avant de recourir à l’arbitrage, au contentieux ou à toute autre procédure de règlement des différends […], [les parties] tenteront d’abord de bonne foi de régler le différend ou la réclamation par une médiation non contraignante ».
D’un point de vue rédactionnel, les parties devraient inclure une disposition explicite, obligatoire ou facultative, pour chaque multiétape.
Inapplicabilité des étapes obligatoires
Si un tribunal ou un arbitre estime qu’une disposition multiétape impose des conditions préalables obligatoires à l’arbitrage, il obligera généralement les parties à respecter leur entente. Les parties peuvent ainsi être empêchées de recourir à l’arbitrage ou à la procédure judiciaire tant que les conditions préalables ne sont pas remplies.
Toutefois, le risque subsiste qu’un tribunal refuse d’exiger des parties qu’elles prennent part à ces étapes préalables à l’arbitrage ou à la procédure judiciaire.
Cette situation s’applique lorsque les étapes préalables obligatoires ont une très faible probabilité d’aboutir à une solution. [4] De même, lorsqu’une partie refuse de participer à une procédure de règlement des différends à laquelle elle a préalablement consenti, elle peut être empêchée d’invoquer l’entente pour prévenir l’arbitrage ou le litige. [5]
Par conséquent, même la formulation obligatoire la plus précise peut ne pas garantir que toutes les étapes du règlement des différends devront être suivies. Si une partie ne participe pas de bonne foi aux toutes premières étapes obligatoires du règlement des différends, elle peut perdre la possibilité d’empêcher un arbitrage ou un litige au motif que les premières étapes obligatoires n’ont pas été franchies.
Observations sur les limitations
Les dispositions obligatoires relatives au règlement multiétape des différends peuvent également soulever des questions liées aux délais de prescription.
Dans l’affaire Maisonneuve, [6] le demandeur a cherché à soumettre le différend à l’arbitrage. Le défendeur a demandé le rejet de la demande en faisant valoir qu’elle était prescrite. La disposition multiétape exigeait une résolution informelle comme condition préalable à l’arbitrage. La Cour supérieure de justice de l’Ontario confirme que, lorsqu’une disposition d’arbitrage inclut une condition préalable à l’arbitrage, l’arbitrage n’est pas approprié tant qu’il n’est pas évident qu’aucun règlement à l’amiable n’est possible. En conséquence, la Cour estime que, tant qu’il n’est pas manifeste qu’aucune résolution informelle n’est possible, le délai de prescription de deux ans ne commence pas à courir.
Plus récemment, la Cour suprême de Nouvelle-Écosse a estimé que le délai de prescription commençait à courir dès le moment où l’on savait ou devait savoir que le défendeur n’était pas intéressé par la médiation. Dans cette affaire, la médiation n’a jamais été achevée, car le défendeur a refusé d’y participer. [7]
Ainsi, les décisions donnent une certaine assurance aux parties qu’un délai de prescription n’expirera pas alors que le différend est encore soumis aux premières étapes d’un règlement des différends. Toutefois, le délai de prescription peut commencer à courir dès qu’il devient évident qu’une partie ne participera pas aux étapes initiales. En outre, un tribunal risque de conclure que le délai de prescription commence à courir à la date à laquelle le fondement de la demande est apparu, avec pour conséquence potentielle que le délai de prescription expire alors que les étapes préliminaires doivent être entreprises, avant que le délai de prescription ne puisse être respecté par l’engagement d’une procédure arbitrale ou judiciaire.
En outre, un degré de complexité supplémentaire peut apparaître dans les cas où le différend ne relève pas manifestement de la convention d’arbitrage. Cette situation peut se présenter dans le contexte de conventions d’arbitrage qui ne s’appliquent qu’à des différends précis. Dans ce cas, le délai de prescription peut expirer même si une première étape de règlement des différends a été entreprise. Plus précisément, ce cas de figure peut se produire si le différend est finalement considéré comme n’entrant pas dans le champ d’application de la convention d’arbitrage.
Dans ce cas, pour s’assurer que sa demande est préservée, une partie peut envisager i) d’obtenir l’accord de l’autre partie confirmant que le différend est soumis à la convention d’arbitrage, ii) si le temps le permet, de demander une détermination rapide de la compétence et de l’applicabilité des dispositions relatives au règlement des différends et iii) si nécessaire, d’entamer à la fois l’arbitrage et le procès en attendant un règlement des différends devant le forum adéquat. [8]
Les parties doivent être conscientes des délais de prescription avant et tout au long du processus de résolution multiétape des différends.
Conclusion
Le règlement multiétape des différends reste un outil efficace pour une résolution précoce et rentable des différends. Toutefois, dans certains cas, les étapes supplémentaires peuvent prolonger la résolution du règlement des différends de fond sous-jacents. En outre, elles peuvent rendre les délais de prescription plus complexes et relativement incertains. Pour atténuer ces risques, les parties doivent aborder le règlement multiétape des différends en faisant preuve de prévoyance stratégique et en examinant attentivement les termes à inclure dans les dispositions contractuelles applicables.
[1] PCL Constructors c. Johnson Controls, 2022 ONSC 1642.
[2] PCL au par. 7.
[3] PQ Licensing SA c. LPQ Central Canada Inc, 2018 ONCA 331.
[4] IWK Health Centre c Northfield Glass Group Ltd., 2016 NSSC 281
[5] Dre Catherine Morin-Houde Dentiste inc. c. Dre Marie-Ève Costisella inc., 2021 QCCS 4109.
[6] Maisonneuve c. Clark, 2021 ONSC 1960.
[7] Install-A-Floor Limited c. The Roy Building Limited, 2022 NSSC 67.
[8] Cette stratégie doit toutefois être employée avec prudence, car elle peut offrir à la partie adverse la possibilité de choisir entre une procédure arbitrale et une procédure judiciaire pour régir le différend.
Mihai Tomos est associé chez Blake, Cassels & Graydon LLP à Calgary. Sa pratique est axée sur les litiges commerciaux complexes et l’arbitrage.