Planifier et éviter les litiges dans le domaine de la construction : troisième partie
Par George Jergeas, PhD., ing.
Dans la troisième et dernière partie de cet article, nous nous concentrons sur les outils de gestion des processus, les outils juridiques et ceux de gestion des risques qui, si utilisés, sont censés réduire la fréquence et l’ampleur des litiges durant la phase de construction d’un projet. Nous abordons particulièrement les problèmes liés aux contrats et au respect d’un calendrier.
Établir un système de gestion des risques liés à un projet
Les professionnels de la conception et les gestionnaires de la construction doivent tenir compte des risques, créer un registre des risques et affecter des montants appropriés pour les imprévus durant la phase de planification. L’équipe de gestion de projet du propriétaire doit mettre en œuvre une réunion sur les risques qui aura lieu tous les mois ou tous les trimestres, et qui sera basée sur la taille, l’envergure, la vitesse et la complexité du projet. Il faut que l’équipe reconnaisse qu’au fur et à mesure qu’un projet avance, les éléments de risque évoluent en passant d’un risque à un autre. Par exemple, dans le cas de la construction d’une usine, une fois que toutes les installations souterraines sont en place et que les fondations sont terminées, les risques liés aux travaux souterrains sont remplacés par de nouveaux risques dans le registre, qu’ils aient été déjà déterminés ou récemment découverts.
Consulter votre conseiller juridique concernant les dommages-intérêts liquidés
En général, l’équipe de gestion de projet du propriétaire considère l’évaluation des dommages-intérêts liquidés comme une question administrative en vertu de laquelle le propriétaire est uniquement responsable de ne pas verser ces dommages-intérêts à l’entrepreneur une fois que l’exécution des travaux a dépassé la date d’achèvement du contrat. Cependant, il ne s’agit pas d’un problème tout simple, et il est plutôt de nature juridique que de nature administrative. L’équipe de gestion de projet du propriétaire doit consulter un conseiller juridique, avant d’annoncer toute décision d’évaluer les dommages-intérêts liquidés, afin de déterminer si son cas, c’est-à-dire le fait de retenir tout paiement de dommages-intérêts, est justifié ou valide. Procéder ainsi pourrait éviter des litiges portant sur les retards causés par le propriétaire par rapport à ceux causés par l’entrepreneur lorsque le projet sera achevé.
Aviser la haute direction et le conseiller juridique de toute violation de contrat
Une violation de contrat est un autre problème de nature juridique (plutôt qu’ayant trait à la gestion de projet). Ce type d’allégations engendrent invariablement des litiges. La haute direction, le groupe de réclamations du propriétaire et le conseiller juridique doivent être consultés, lorsque l’équipe de gestion de projet croit qu’une violation de contrat a eu lieu ou que l’entrepreneur a annoncé son intention de contrevenir au contrat. En intervenant et en commençant les négociations rapidement, la haute direction et/ou le conseiller juridique pourraient aider à éviter ou à minimiser un litige.
Soumissions de calendriers d’exécution à intervalles courts
La plupart des calendriers de projet normalisés exigent des mises à jour régulières, soit tous les mois ou lorsque les jalons propres au contrat sont atteints. Ainsi, l’équipe de gestion de projet du propriétaire doit travailler avec les entrepreneurs pour obtenir leurs calendriers d’exécution à intervalles courts. Il s’agit souvent de calendrier de trois semaines sous forme de diagrammes indiquant ce qui a été prévu et effectué la semaine précédente, la semaine actuelle, et ce qui doit être planifié pour la semaine suivante. Ces calendriers sont souvent transmis aux chefs de chantier et aux contremaîtres de profession. L’équipe de gestion de projet du propriétaire doit s’assurer que les calendriers à intervalles courts s’alignent sur le calendrier global du projet et déterminer si l’entrepreneur respecte son plan. La revue de ces documents donnera une meilleure idée à l’équipe de gestion de projet du propriétaire de l’état du projet sur une base hebdomadaire, et facilitera ainsi la communication entre les équipes du projet.
Faire respecter les exigences en matière de calendrier et de prorogation de délai
Les propriétaires doivent toujours faire respecter le calendrier de projet et se conformer aux exigences en matière de prorogation de délai stipulées dans le contrat. Tout manquement à ces exigences peut accorder une dispense des exigences en matière de prorogation et de calendrier de projet. L’équipe de gestion de projet du propriétaire doit garder en tête qu’étant donné qu’elle a dressé le contrat, si elle fait défaut de respecter les dispositions du contrat, cet acte pourrait ultérieurement (lors d’un litige) être considéré comme une « renonciation aux modalités du contrat par le biais de transactions antérieures ».
Établir un protocole quant aux retards et aux événements perturbateurs
Beaucoup de litiges ne naissent pas d’un désaccord entre le propriétaire et l’entrepreneur quant à un retard ou une conséquence qui se sont produits, mais parce que chaque partie n’arrive pas à se mettre d’accord sur la façon dont la réclamation doit être documentée et produite, et comment les dommages doivent être calculés. Si le contrat ne stipule pas de protocole concernant l’analyse des retards, dès le début du projet, l’équipe de gestion de projet du propriétaire et les entrepreneurs doivent établir la façon dont les prorogations de délai et les dommages indirects doivent être élaborés, documentés, soumis et examinés.
Documenter des conflits, des erreurs ou des omissions dans les soumissions de l’entrepreneur, et en discuter
L’équipe de gestion de projet du propriétaire doit examiner toute soumission d’un entrepreneur (qu’elle soit technique, administrative ou autre) dans un délai convenable et conformément aux exigences stipulées dans le contrat. Si l’équipe de gestion de projet du propriétaire décèle des erreurs, des omissions ou des contradictions dans une soumission, elle doit les documenter et les transmettre de façon détaillée à l’entrepreneur. Les réponses telles que « Rejeté. Soumettre à nouveau » sont inutiles, à moins qu’elles soient suivies d’une discussion portant sur la raison du rejet de la soumission.
Reconnaître l’importance de la planification
L’équipe de gestion de projet du propriétaire doit s’engager à employer des mesures appropriées de gestion des calendriers, telles que :
- L’examen minutieux et l’approbation ou le rejet de toutes les soumissions et mises à jours des calendriers;
- La participation à toutes les réunions dans lesquelles les calendriers sont discutés afin de résoudre tout problème lié aux échéances;
- L’insistance sur le respect des exigences issues du calendrier de construction;
- La conservation de tous les documents imprimés et électroniques liés aux soumissions de calendrier;
- La conservation des dossiers précis de toutes les demandes de prorogation de délai (c’est-à-dire, la date de la soumission, la date et le type de réponse, et la date de la prorogation, si une a été accordée).
Conclusion
Les projets peuvent être achevés, et les litiges peuvent être résolus dans des délais raisonnables sans avoir à recourir à l’arbitrage ou à un procès, et ce, grâce à une planification préliminaire appropriée, une conception de bonne qualité, un choix de bons entrepreneurs et l’application des meilleures mesures dans l’industrie axées sur l’équipe du projet et une approche collaborative.
Les actes des propriétaires, des ingénieurs et des entrepreneurs peuvent envenimer la situation, et servir de signes avant-coureurs que des réclamations ou des litiges peuvent se présenter. En voici quelques exemples du côté des propriétaires :
- Avoir des attentes irréalistes en ce qui a trait au temps d’achèvement et aux risques;
- Ne pas établir correctement l’envergure du projet et en rater l’élaboration;
- Attribuer tous les risques de façon inappropriée aux entrepreneurs.
Voici quelques exemples du côté des ingénieurs :
- Confier les responsabilités de conception aux entrepreneurs;
- Accepter de répondre à attentes irréalistes;
- Avoir un intérêt direct dans les litiges;
- Produire des documents ambigus ou contradictoires.
Un entrepreneur peut nuire à la situation s’il :
- Ne satisfait pas aux exigences de son contrat en matière de communications écrites ou ne respecte pas les « dispositions relatives aux avis »;
- Rogne les coins pour compenser les écarts liés à la soumission;
- Maltraite les sous-traitants;
- Ne lit pas le contrat ou suppose qu’il ne sera pas forcé à le respecter;
- Ne conserve pas adéquatement les documents liés au projet;
- Ne documente pas correctement les réclamations.
George Jergeas, PhD, ing., professeur émérite et ancien directeur de la gestion de projet, Université de Calgary. George se passionne pour les relations collaboratives, les réclamations et les litiges, ainsi que pour le conseil et la formation en gestion de projet. George a comparu en tant que témoin expert devant la Commission d’enquête concernant le projet de Muskrat Falls. Il participe actuellement à la médiation d’un différend en matière de construction en Alberta.