Principes sous-jacents à l’adoption d’une approche adéquate en matière de divulgation de dossiers
Par Rachel Clarke et Alexandre Ogilvie
Le processus de divulgation de dossiers n’en est pas un dans lequel les arbitres tiennent les parties par la main. À l’inverse, c’est aux parties qu’il revient d’affirmer clairement et rapidement leur droit d’accès aux documents de la partie adverse. Une plainte déposée après le fait par une des parties concernant l’omission de divulguer des dossiers ne sera pas suffisante pour annuler la décision d’un arbitre pour cause d’injustice si la divulgation incomplète n’a pas déjà fait l’objet d’une contestation. La Cour d’appel de l’Alberta précise ce point dans l’arrêt ENMAX Energy Corporation c. TransAlta Generation Partnership, 2022 ABCA 206.
- Aperçu
Dans l’affaire ENMAX Energy Corporation c. TransAlta Generation Partnership, la Cour d’appel de l’Alberta a examiné une allégation selon laquelle une formation arbitrale aurait traité ENMAX Energy Corporation (ENMAX) et l’entreprise Balancing Pool (collectivement, les appelants) de manière inéquitable. ENMAX a affirmé avoir subi une injustice visée à l’article 45(1)f) de l’Arbitration Act de l’Alberta (la Loi) en raison d’une lacune dans la divulgation des dossiers de TransAlta Generation Partnership (TransAlta).
La Cour a conclu que les appelants n’avaient pas fait l’objet d’un traitement inéquitable de la part de la formation arbitrale, puisque la lacune relative à la divulgation des dossiers découlait de leur propre inaction. En rendant cette conclusion :
(a) La Cour a clarifié le sens du mot « inéquité » utilisé aux termes de l’art. 45(1)f) de la Loi;
(b) Elle a formulé trois constatations importantes au sujet des arbitrages :
- (i) Il est acceptable qu’en arbitrage, les procédures soient moins robustes qu’en litige civil;
- (ii) Les décisions d’arbitrage international fournissent des indications utiles pour déterminer ce qui constitue une « iniquité flagrante » justifiant l’annulation d’une sentence;
- (iii) L’approche « recours et demande » couramment utilisée en arbitrage pour la production de documents contribue à l’efficacité des procédures arbitrales et ne « diminue » en rien le degré de divulgation.
(c) La Cour a établi que lorsqu’un tribunal révise des procédures arbitrales :
- (i) Les parties ont droit à une audience équitable, et non à une audience parfaite;
- (ii) Il faut tenir compte de l’équité globale des procédures et non des décisions individuelles;
- (iii) Les parties doivent faire preuve de diligence raisonnable dans l’examen des questions en litige; elles ne peuvent pas se plaindre après coup d’un manque d’équité perçu découlant de leur inaction à cet égard;
- (iv) Le refus d’admettre des éléments de preuve pertinents ne constitue pas toujours un manquement à la justice naturelle;
- (v) Le seuil au-delà duquel il est possible d’annuler une sentence arbitrale est très élevé; les documents exclus satisfont à ce seuil s’ils sont cruciaux pour le cas présenté.
La suite du présent article se penchera sur la signification du terme « inéquité » au sens de l’article 45(1)f) de la Loi.
- Les faits de la cause
Une formation arbitrale a tranché le litige qui opposait TransAlta et les appelants en faveur de TransAlta.
Les appelants ont contesté la sentence, soutenant qu’ils avaient été traités de manière injuste. Ils ont fait valoir le fait que TransAlta n’avait pas produit les documents pertinents et déterminants pour l’issue de l’arbitrage (les documents) et que cette lacune dans la divulgation avait mené à la conclusion de la formation arbitrale.
- Interprétation de l’article 45(1)f) de la Loi
L’article 45(1)f) de la Loi prévoit que le tribunal peut annuler une sentence si, entre autres choses, « le requérant n’a pas été traité de façon juste et équitable, n’a pas eu la possibilité de présenter son exposé des faits ou de répliquer à celui d’une autre partie. »
Au cours d’un arbitrage, ce ne sont pas tous les manquements à la procédure qui donnent lieu à une intervention judiciaire. L’énoncé « n’a pas été traité de façon juste et équitable » de l’article 45(1)f) exige que l’on évalue si le caractère injuste est évident ou clair. Toutefois, les rigueurs procédurales afférentes au litige civil ne s’appliquent pas aux arbitrages visés par la Loi.
La Cour a précisé que l’article 45(1)f) de la Loi doit être interprété de manière restrictive et dans le seul but de veiller à ce que les procédures [arbitrales] ne soient pas fondamentalement ou irrémédiablement viciées. Si l’injustice présumée n’a pas d’incidence significative sur les procédures, elle ne peut pas justifier l’annulation d’une sentence.
Ainsi, lorsqu’un élément de preuve exclu est à l’origine du manque d’équité présumé, la sentence arbitrale ne peut être annulée que si cet élément de preuve jouait un rôle crucial dans la cause de la partie concernée. Pour évaluer la question, une cour de révision doit examiner les motifs de la formation arbitrale et déterminer si l’élément de preuve manquant a eu une incidence sur les conclusions de cette dernière.
- Déterminer l’injustice en matière d’arbitrage
Les appelants ont allégué que TransAlta a omis de produire les documents, au détriment des appelants. Ils ont formulé cette plainte malgré le fait que : i) ENMAX a choisi de cesser de chercher à obtenir les documents pendant l’arbitrage; ii) la formation arbitrale a informé l’entreprise Balancing Pool qu’elle pouvait s’adresser à la Cour pour obtenir les documents, ce que Balancing Pool a choisi de ne pas faire; iii) les appelants ont choisi de ne pas demander les documents lorsqu’ils ont pris connaissance de leur existence potentielle par le biais d’éléments de preuve supplémentaires (réponse supplémentaire) que TransAlta a fournis plus tard.
La Cour a reconnu que certains documents peuvent devenir plus pertinents à mesure que la procédure d’arbitrage progresse. Par conséquent, lorsque des documents deviennent déterminants et que les enjeux se concrétisent, les parties doivent réaffirmer leur position par rapport à leur communication. Et cela est vrai, quelle que soit la procédure de divulgation adoptée dans un arbitrage.
La Cour a conclu que si la formation arbitrale n’a pas ordonné la production des documents, elle ne l’a pas empêchée non plus. Les appelants avaient la possibilité de demander la divulgation de documents supplémentaires, mais ils ont choisi de ne pas le faire. Il s’agissait d’une décision tactique. En conséquence, il n’y a pas eu d’injustice flagrante dans le processus.
- La conclusion à retenir
Cette décision fait ressortir le fait que l’annulation de sentences arbitrales pour cause d’injustice n’est possible que dans les cas les plus flagrants. L’omission, par une partie, de contester la divulgation de dossiers durant une procédure arbitrale ne fait pas partie de ces cas.
Dans l’ensemble, il est essentiel que l’avocat se montre proactif dans l’affirmation des droits des parties à la divulgation de dossiers dans le cadre d’un arbitrage. Les parties doivent exprimer aux arbitres leurs préoccupations concernant la divulgation de dossiers en temps opportun, car s’il devait y avoir une demande d’annulation de sentence, il est peu probable que les tribunaux se montrent favorables à la cause d’une partie qui n’a pas épuisé les demandes procédurales de divulgation pendant l’arbitrage.
Rachel Clarke est avocate recherchiste au sein du groupe de litige et règlement des différends Burnet, Duckworth et Palmer LLP, experts en litiges commerciaux.
Alex Ogilvie est avocat recherchiste adjoint au sein du groupe de litige et règlement des différends Burnet, Duckworth et Palmer LLP, experts en litiges commerciaux.