Principes s’appliquant aux décisions judiciaires concernant la compétence des tribunaux arbitraux
Par Linda Jensen
Dans l’affaire Ong contre Fedoruk[1], la cour a examiné la décision d’un tribunal arbitral de statuer sur sa propre compétence. La décision porte sur le libellé législatif de la norme de contrôle applicable utilisé dans de nombreuses provinces et territoires et sur la capacité d’un arbitre à conserver sa compétence. Bien qu’elle ne cherche pas à dissiper l’incertitude quant à l’incidence de la décision dans l’affaire Vavilov[2] sur la norme de contrôle applicable aux décisions arbitrales, cette décision donne tout de même des indications utiles sur les questions de compétence.
La décision rendue dans l’affaire Ong contre Fedoruk découle d’un arbitrage commercial portant sur un accord de vente d’actions d’une entreprise. L’évaluation des actions et la décision des acheteurs de mettre fin à l’emploi du vendeur dans l’entreprise constituaient les principales questions de fond en litige. L’arbitre a rendu une sentence qui réglait ces deux points et a conservé sa compétence sur les questions non réglées du montant du salaire dû au vendeur, des intérêts à payer sur les montants accordés et des dépens (« questions réservées »).
Un différend sur la compétence de l’arbitre à statuer sur les questions réservées a ensuite été soulevé. L’arbitre s’est déclaré compétent et a établi une procédure pour l’examen des questions réservées. Suite à la décision de l’arbitre sur ces questions, le vendeur a déposé une requête contestant la décision de l’arbitre de conserver sa compétence et sa capacité à allouer des dépens.
Norme de contrôle s’appliquant à la décision de l’arbitre sous l’angle de sa compétence
Le paragraphe 17(9) de l’Arbitration Act de l’Alberta précise que les décisions d’un tribunal arbitral sur sa propre compétence peuvent faire l’objet d’une requête auprès de la cour pour qu’elle « tranche la question ».
Dans l’affaire Ong, la cour a souscrit à la jurisprudence de l’Alberta et de l’Ontario, qui interprétait ce libellé comme une règle imposant aux tribunaux de procéder à un contrôle selon la norme du bien-fondé, plutôt que sur la norme du raisonnable. Bien que la cour ait accepté que la norme du raisonnable s’applique normalement à l’appel d’une décision arbitrale[3], elle a fait remarquer que les autorités indiquent néanmoins que la norme du bien-fondé devrait s’appliquer aux « questions de droit qui sont d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et qui ne relèvent pas de l’expertise de l’arbitre [traduction] »[4].
La cour a éludé la question de savoir si la décision dans l’affaire Vavilov pouvait avoir modifié le cadre applicable aux recours contre les décisions arbitrales, concluant simplement que la compétence de l’arbitre relevait de cette catégorie de questions de droit et que, par conséquent, la norme du bien-fondé s’appliquait.
De même, le libellé du paragraphe 17(9) autorisant un tribunal à « trancher la question » était essentiel à la conclusion selon laquelle une audience visée à ce paragraphe devait être une audience a novo plutôt qu’une audience sur la foi du dossier. La cour a expressément refusé de suivre la jurisprudence restreinte de l’Alberta en la matière, qui penchait en faveur d’une audience sur la foi du dossier, et a plutôt opté pour l’approche inverse adoptée par les tribunaux de l’Ontario et du Royaume-Uni, qu’elle a jugée conforme au « consensus international sur la question dans le contexte de l’arbitrage commercial international [traduction] ». La cour n’a trouvé « aucune raison de principe [traduction] » justifiant que les tribunaux de l’Alberta, lorsqu’ils statuent sur la question de la compétence d’un arbitre, procèdent différemment des tribunaux des autres administrations dans l’interprétation de libellés similaires[5].
Le pouvoir de l’arbitre de conserver sa compétence
Dans son application de la norme du bien-fondé, la cour a examiné la remise en question par le vendeur de la capacité de l’arbitre à conserver sa compétence en matière de dépens. La cour a formulé des commentaires sur la portée de l’article 20 de la Loi, qui autorise un arbitre à déterminer la procédure à suivre dans le cadre de l’arbitrage.
La cour a fait observer que non seulement l’arbitre avait expressément conservé sa compétence sur les questions réservées (y compris sur les dépens), mais qu’il avait de bonnes raisons de le faire, étant donné que l’information permettant de régler ces questions, qui relevaient manifestement de celles que les parties avaient convenu de soumettre à l’arbitre, n’avait pas été présentée au moment où la sentence initiale a été rendue. La décision de l’arbitre de conserver sa compétence, qui s’appuyait sur une interprétation élargie et libérale de l’article 20, constituait un exercice approprié du pouvoir discrétionnaire de l’arbitre, qui privilégie l’atteinte des objectifs d’efficacité et de rapidité et le recours à une expertise spécialisée, qui sont des principes de base de la procédure d’arbitrage.
Cela n’aurait toutefois pas été le cas si l’une des circonstances permettant de mettre fin aux procédures d’arbitrage en vertu de l’article 42 de la Loi s’était présentée. La cour a fait observer que « l’article 20 n’est pas illimité et ne prévoit pas le pouvoir de prolonger les délais légaux [traduction] »[6]. La compétence de l’arbitre en matière de dépens était conditionnelle à la conservation de sa compétence sur les questions réservées.
S’agissant spécifiquement des dépens alloués au vendeur, la cour a conclu que l’arbitre n’avait pas commis d’erreur en les adjugeant plusieurs mois après la décision initiale sur le fond, nonobstant la disposition du paragraphe 53(4) de la Loi, qui impose à la partie qui demande des dépens de le faire dans un délai de 30 jours. La cour a conclu que le libellé du paragraphe 53(4), qui exige de l’arbitre qu’il « s’occupe des dépens [traduction] », ne peut être assimilé à l’obligation « d’allouer des dépens [traduction] » ou de « prendre une décision au sujet des dépens [traduction] ». Par conséquent, le libellé de la sentence initiale, où l’arbitre conservait sa compétence sur la question des dépens, était suffisant pour éviter un dessaisissement.
Conclusion
En fin de compte, la cour dans l’affaire Ong a conclu que l’arbitre n’avait pas commis d’erreur en statuant sur sa propre compétence ou en exerçant son pouvoir d’établir la procédure et de conserver sa compétence sur les questions non résolues, notamment sur la question des dépens. Cette décision examine avec pertinence les principes régissant ces questions et sera certainement utile aux praticiens qui souhaitent obtenir des indications sur les questions de compétence en vertu de la loi albertaine ou d’une législation similaire dans d’autres provinces et territoires.
[1] 2022 ABQB 557.
[2] 2019 CSC 65.
[3] Sattva Capital Corp. contre Creston Moly Corp., 2014 SCC 53.
[4] Ong, paragraphes 28 à 30, citant Wastech Services Ltd. contre Greater Vancouver Sewerage and Drainage District, 2021 SCC 7 et Sattva, ibid.
[5] Ong, paragraphe 37 sur le refus de se conformer à la décision dans l’affaire Kitt contre Voco Developments Inc, 2005 ABQB 743.
[6] Ong, paragraphe 48.
Linda Jensen est également l’avocate principale chez Juridica, Service de recherche juridique, qui offre des services de recherche, d’analyse et de rédaction juridique aux cabinets d’avocats et aux services juridiques d’entreprise situés au Québec, depuis 2007.