Critères du caractère (potentiellement) obligatoire de la clause d’arbitrage à l’égard d’un tiers
Par Josh Hobbs et Linda Jensen
La décision de la Cour d’appel de l’Alberta dans l’affaire Husky Oil Operations Limited c. Technip Stone & Webster Process Technology Inc.[1] livre un commentaire utile sur la question non résolue de savoir si une clause contractuelle exigeant le règlement des différends par voie d’arbitrage peut lier un tiers au contrat. Bien que la Cour n’était pas tenue, au vu des faits, de trancher la question, -et a expressément refusé de le faire, elle définit les circonstances requises pour qu’un tiers soit contraint à l’arbitrage. Les motifs de la Cour intéresseront les rédacteurs de contrats.
Dans l’affaire Husky Oil Operations Limited c. Technip Stone & Webster Process Technology Inc, la Cour d’appel de l’Alberta a accueilli l’appel d’une décision rejetant la réclamation sous garantie de l’appelant Husky à l’encontre d’un fournisseur d’équipement. La Cour a estimé que Husky n’était pas liée par une clause d’arbitrage contenue dans le contrat entre le fournisseur et l’entrepreneur général de Husky, même si son droit à la réclamation sous garantie découlait de ce contrat.
Husky a retenu les services d’un entrepreneur général pour l’ingénierie, l’approvisionnement et la construction d’un projet de drainage par gravité au moyen de vapeur pour les sables bitumineux. L’entrepreneur général a conclu un contrat avec le fournisseur pour la conception, la fabrication et la livraison de 10 modules de générateurs de vapeur pour le projet. Le contrat de fourniture des générateurs de vapeur comprenait une clause stipulant que toutes les garanties données par le fournisseur bénéficiaient à la fois à l’entrepreneur général et à Husky et pouvaient être appliquées par l’un ou l’autre d’entre eux.
Le contrat contenait une clause d’arbitrage prévoyant que « tous les litiges découlant du présent BON DE COMMANDE ou s’y rapportant seront définitivement réglés conformément au Règlement d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale par un ou plusieurs arbitres nommés conformément à ce Règlement ».
En première instance, le juge des demandes a estimé qu’en acceptant la garantie prévue par le contrat, Husky était liée par tous les aspects du contrat, y compris les dispositions relatives à l’arbitrage. En appel, la Cour a estimé que Husky n’était pas tenue de se soumettre à l’arbitrage. Les motifs se résument à la formulation de la clause d’arbitrage.
Un langage clair et explicite
La Cour constate l’absence de jurisprudence déterminant directement si les parties contractantes peuvent lier contractuellement un tiers à l’arbitrage, bien que certaines décisions aient tourné autour de la question[2]. La Cour estime qu’il n’est pas nécessaire de trancher cette question pour les besoins de l’appel, mais elle émet néanmoins un avis sur les conditions à remplir. L’une des principales est la clarté du langage contractuel.
Selon la Cour, « s’il est possible de [lier un tiers], l’obligation d’arbitrage doit être manifeste. Elle doit être exprimée en termes clairs et explicites »[3]. La clause d’arbitrage en question ne répond pas à ce critère, car elle n’énonce pas clairement et expressément l’obligation pour Husky de poursuivre la réclamation sous garantie par voie d’arbitrage, et des interprétations divergentes de l’application de la clause d’arbitrage sont raisonnablement possibles à la lecture du contrat. L’une des interprétations oblige Husky à participer à l’arbitrage. L’autre interprétation empêche totalement Husky d’imposer l’arbitrage. L’obligation d’arbitrage n’est donc pas exprimée en termes clairs et explicites.
L’absence de formulation claire et explicite de l’obligation d’arbitrage a pour conséquence que « le tiers peut choisir la voie judiciaire pour faire valoir l’avantage qui lui a été conféré sans se rendre compte que les parties contractantes avaient l’intention de recourir à l’arbitrage obligatoire »[4].
Contournement du lien contractuel
La Cour souligne que si la doctrine du lien contractuel peut être assouplie lorsque des tiers cherchent à se prévaloir de dispositions contractuelles établies à leur profit, cette exception dépend de l’intention des parties. Par conséquent, « il ne suffit pas de se fonder sur les principes d’interprétation des contrats pour conclure à l’obligation [d’arbitrage] »,[5] car les tiers ne sont pas censés connaître les circonstances, les intentions et les ententes des parties qui ont abouti à la formation du contrat en question.
Outre la constatation que la formulation de la clause d’arbitrage est insuffisante, la Cour ajoute qu’il n’existe aucune preuve suggérant que Husky a participé aux négociations qui ont abouti à la conclusion du contrat ni aucune preuve qu’elle ait eu connaissance des intentions des parties contractantes ou de leur compréhension. La décision ne précise pas si la Cour a estimé qu’il s’agissait d’un facteur supplémentaire susceptible d’influer sur la question de savoir si un tiers doit être lié, même lorsque la clause d’arbitrage est formulée de manière explicite, ou si la preuve de la participation d’un tiers aux négociations ou de sa connaissance des intentions des parties contractantes peut combler les lacunes lorsque l’obligation d’arbitrage n’est pas formulée de manière claire et explicite.
Conclusion
La décision Husky ne tranche pas définitivement la question du caractère obligatoire de l’arbitrage pour un tiers en l’absence de son consentement, mais elle souligne que toute possibilité de le faire dépendrait, à tout le moins, de l’utilisation d’un langage clair et explicite à cet effet dans la clause d’arbitrage. Elle suggère également que le degré de participation du tiers aux discussions ou aux négociations avant la finalisation du contrat peut être un facteur pertinent. La décision fournit des indications importantes aux parties contractantes désireuses de renforcer l’argument en faveur de l’imposition d’une obligation d’arbitrage à un tiers.
[1] 2024 ABCA 369 [« Husky »].
[2] Voir par exemple T Co Metals LLC c. Federal Ems (Vessel), 2012 FCA 284; Landex Investments Company c John Volken Foundation, 2008 ABCA 333.
[3] Husky au par. 31.
[4] Husky au par. 32.
[5] Husky au par. 31.
Josh Hobbs est un avocat qui se spécialise dans la recherche juridique et la plaidoirie écrite. Il fournit des services à plusieurs cabinets à Calgary et est régulièrement engagé par Bottom Line Research and Communications comme l’un de ses consultants en recherche juridique.
Linda Jensen est la principale avocate de Bottom Line Research and Communications, qui fournit des services de recherche et de rédaction juridiques aux avocats, aux entreprises et à d’autres organismes dans tout le Canada depuis 1993.