L’affaire Aroma Franchise : enseignements et considérations pratiques
La possibilité de contester l’équité des sentences arbitrales en raison de la nomination répétée d’un arbitre par la même partie ou le même avocat a fait l’objet de nombreuses discussions depuis la décision de la Cour supérieure de l’Ontario dans l’affaire Aroma Franchise en 2023. À la suite de l’infirmation de cette décision par la Cour d’appel de l’Ontario, qui a été largement saluée par la communauté de l’arbitrage, cet article présente quelques enseignements et stratégies potentielles pour atténuer le risque de telles contestations.
Aperçu
Au début de l’année 2023, la Cour supérieure de l’Ontario a décidé, dans l’affaire Aroma, que l’omission par l’arbitre de déclarer une deuxième nomination par un avocat de l’une des parties pour arbitrer un différend sans rapport avec l’affaire avait donné lieu à une crainte raisonnable de partialité.
En décembre 2024, la Cour d’appel de l’Ontario a jugé qu’il n’y avait pas d’obligation de déclaration ni de crainte raisonnable de partialité dans ces circonstances et a précisé le critère applicable en vertu de la Loi type de la CNUDCI sur l’arbitrage commercial international (la « Loi type »). Bien qu’aucune obligation de déclaration n’ait été imposée dans l’affaire Aroma, la décision de la Cour d’appel met en lumière d’autres situations courantes dans lesquelles l’obligation peut être imposée. Cet article examine le raisonnement de la Cour dans l’affaire Aroma et les stratégies possibles pour minimiser le risque de contestation de la partialité découlant de nominations répétées.
Contexte
L’arbitrage Aroma est né de la résiliation d’un contrat de franchisage cadre (« CFC ») entre Aroma Franchise Company (« AFC »), le franchiseur mondial d’Aroma Espresso Bars, et Aroma Canada, son franchisé principal canadien. Les parties ont nommé un arbitre unique après avoir confirmé l’étendue de toute relation antérieure que les avocats de l’une ou l’autre des parties entretiennent avec l’arbitre. La clause d’arbitrage du CFC exige seulement que l’arbitre n’ait aucune relation sociale, commerciale ou professionnelle antérieure avec l’une ou l’autre des parties, sans mentionner les relations avec les avocats.
Alors que l’arbitrage était en cours, l’avocat principal d’Aroma Canada a nommé le même arbitre pour un autre litige opposant des parties non liées dans un secteur différent. Cette nomination n’a été révélée que lorsque, dans un courriel envoyé la veille de la publication de la sentence, l’arbitre a ajouté par inadvertance en copie un avocat participant à l’arbitrage ultérieur qui était étranger à l’arbitrage d’Aroma. L’arbitre ignorait que les parties avaient précédemment exprimé leurs préoccupations quant aux relations antérieures que leurs avocats entretenaient avec des arbitres potentiels et qu’elles avaient rejeté d’autres candidats pour cette raison.
Conclusion par la Cour supérieure d’une crainte raisonnable de partialité
La Cour supérieure a annulé la sentence, estimant que l’arbitre aurait dû déclarer sa nomination ultérieure et que cette omission donnait lieu à une crainte raisonnable de partialité[1].
Les circonstances prises en compte par la Cour sont notamment les attentes des parties en matière de transparence constante concernant les relations de l’arbitre avec les avocats, les critères du CFC relatifs aux arbitres, l’absence de preuve concernant les circonstances entourant la nomination ultérieure de l’arbitre, y compris la source de la recommandation et les honoraires de l’arbitre et les Lignes directrices sur les conflits d’intérêts dans l’arbitrage international de l’Association internationale du barreau (les « Lignes directrices de l’AIB »).
Renversement de la décision de la Cour supérieure par la Cour d’appel
La Cour d’appel conclut qu’en tenant compte des préoccupations et des attentes subjectives des parties, qui étaient inconnues de l’arbitre, la Cour supérieure a appliqué à tort le critère subjectif des « yeux des parties » pour la déclaration énoncé dans les Lignes directrices de l’AIB au lieu du critère objectif prévu à l’article 12 de la Loi type, qui régit l’arbitrage en vertu de la Loi sur l’arbitrage commercial international de 2017[2].
La Cour explique que, pour un « observateur impartial et informé », toute préoccupation selon laquelle l’avocat d’Aroma Canada bénéficierait de plus de temps devant l’arbitre ou que la nomination subséquente lui conférait un avantage financier ne donnerait pas lieu, à elle seule, à des doutes justifiables quant à l’impartialité de l’arbitre[3]. Étant donné l’absence d’une partie commune ou de questions importantes se chevauchant entre les deux arbitrages, de nominations multiples et répétées par le même avocat ou d’une relation antérieure de conseil conjoint avec l’un des avocats, aucune obligation de déclaration ne s’imposait.
La Cour affirme que les arbitres jouissent d’une forte présomption d’impartialité qui peut être réfutée en démontrant une crainte raisonnable de partialité. Le test est propre au contexte, mais il est objectif. La Cour estime que si le défaut de déclaration d’un arbitre peut être pertinent dans certaines circonstances, la conclusion de la Cour supérieure sur la déclaration repose sur des facteurs subjectifs non pertinents et ne permet pas d’établir une crainte raisonnable de partialité.
Discussion
La saga Aroma illustre comment des nominations multiples par le même avocat ou cabinet d’avocats peuvent rendre une sentence vulnérable à la contestation. Bien que la Cour d’appel juge qu’une seule nomination ultérieure par un avocat engagé dans un arbitrage en cours, sans plus, ne déclenche pas l’obligation de déclarer ou de soutenir une contestation d’impartialité, une situation légèrement différente pourrait bien changer le résultat.
Par exemple, si les attentes des parties concernant la déclaration des relations entre l’arbitre et l’avocat avaient été communiquées à l’arbitre ou expressément adoptées dans le cadre de la procédure d’arbitrage, l’issue de l’affaire Aroma aurait sans doute été différente.
De même, les commentaires de la Cour d’appel suggèrent qu’une obligation de déclaration peut naître si l’arbitrage ultérieur porte sur des questions qui se chevauchent considérablement ou sur des parties communes, ou si le nombre total de désignations répétées dépasse une « quantité cruciale »[4]. Étant donné la probabilité que de tels scénarios se produisent dans des secteurs d’activité ou des domaines de pratique spécialisés ou dans des lieux où le nombre d’arbitres potentiels est limité, les parties et les avocats devraient envisager et traiter ces questions de manière proactive tout au long de l’arbitrage.
Les parties peuvent notamment communiquer directement à l’arbitre leurs préoccupations concernant des relations antérieures ou ultérieures et inclure ces critères dans leur clause d’arbitrage si elles le souhaitent. Les parties devraient également envisager de révéler activement toute circonstance susceptible de déclencher une contestation d’impartialité et de répondre d’emblée à toute préoccupation. Sur la base des scénarios examinés dans l’affaire Aroma, les nominations antérieures ou ultérieures des avocats engagés dans l’arbitrage, ou d’autres avocats du même cabinet, pourraient devoir être activement révélées, en tenant compte des obligations de confidentialité applicables. Il appartiendrait alors à l’arbitre de procéder à une déclaration appropriée, ce qui réduirait les possibilités de contestation de l’équité.
À cette fin, le nouveau règlement d’arbitrage qui sera bientôt adopté par l’Institut d’arbitrage et de médiation du Canada (IAMC) exigerait des parties qu’elles communiquent des renseignements qui permettraient à l’arbitre d’évaluer si une obligation de déclaration existe et exigerait de l’arbitre qu’il dévoile les circonstances pertinentes si c’est le cas[5]. Les parties et les arbitres devraient envisager d’incorporer des règles semblables ou d’exiger une telle déclaration dans le cadre d’ordonnances de procédure afin d’éviter que des allégations de partialité ne surgissent à la fin d’arbitrages potentiellement longs et coûteux.
[1] Aroma Franchise Company Inc. et al. c. Aroma Espresso Bar Canada Inc. et al., 2023 ONSC 1827, par. 63 et 91. (« décision Aroma de la Cour supérieure »)
[2] Aroma Franchise Company Inc.. c. Aroma Espresso Bar Canada Inc., 2024 ONCA 839, par. 83 à 88 (décision Aroma de la Cour d’appel).
[3] Décision Aroma de la Cour d’appel, aux par. 73, 96 et 112 à 114.
[4] Décision Aroma de la Cour d’appel, aux par. 107 à 111.
[5] Voir William G. Horton, McMurtry, Emily , Munro, Lisa C., « Les nouvelles règles d’arbitrage de l’IAMC :une approche actualisée en matière d’arbitrage commercial au Canada – Partie 1 », Perspectives PRD, vol. 11, no 4, décembre 2024.
Sanjit Rajayer est avocat en litiges chez Blake, Cassels & Graydon S.E.N.C.R.L./s.r.l. Il possède une vaste expérience en litiges et arbitrages commerciaux, ainsi qu’en différends en matière de propriété intellectuelle. Pour une biographie plus détaillée, consultez la page Sanjit Rajayer, Toronto | Blakes (en anglais).