Verrons-nous un jour des arbitrages collectifs au Canada?
Par Alexandra Mitretodis et Paige Mueller
Le Canada et les États-Unis ont adopté des approches très différentes en matière d’arbitrage collectif. Les tribunaux américains ont confirmé et renforcé les droits des entreprises à mandater l’arbitrage, y compris les arbitrages collectifs. Il est courant de voir des contrats américains inclure des renonciations aux recours collectifs et prévoir que tous les différends seront résolus par voie d’arbitrage. En revanche, au Canada, les arbitrages collectifs n’ont pas été adoptés et il est peu probable qu’ils le soient dans le cadre législatif et politique actuel.
Les recours collectifs en matière de protection des consommateurs ont continué à augmenter en Amérique du Nord au cours de la dernière décennie. Inversement, un nombre croissant d’entreprises cherchent à résoudre leurs différends par le biais de procédures d’arbitrage au moyen de clauses d’arbitrage contraignantes dans leurs accords commerciaux, exigeant que les différends soient réglés en dehors du système judiciaire traditionnel. La convergence de ces deux tendances a donné naissance aux « arbitrages collectifs ».
Que sont les arbitrages collectifs?
Un arbitrage collectif est un processus qui permet à un groupe de demandeurs soumis à des clauses d’arbitrage suffisamment similaires de poursuivre collectivement des demandes identiques ou connexes. Les demandeurs auront chacun introduit séparément des demandes contre le(s) même(s) défendeur(s) pour un préjudice similaire, qui seront consolidées.
Un arbitrage collectif est un hybride entre un recours collectif par le biais du système judiciaire traditionnel et un arbitrage privé. L’arbitrage collectif reprend les caractéristiques de l’arbitrage privé, telles que le choix du décideur, la confidentialité et des règles de procédure adaptées. Un arbitrage collectif est introduit par un représentant des demandeurs au nom des membres potentiels du groupe, qui seront déterminés à un moment ultérieur du litige.
Arbitrages collectifs aux États-Unis
Les États-Unis sont encore la seule juridiction qui prévoit des arbitrages collectifs. Les accords qui renoncent aux droits de recours collectif sont valides, irrévocables et exécutoires, à l’exception de tous les motifs qui existent en droit ou en équité pour la révocation de tout contrat.[1]
La Cour suprême des États-Unis a expliqué qu’en raison de la flexibilité et de la nature contractuelle des conventions d’arbitrage, les parties peuvent préciser avec qui elles choisissent d’arbitrer leurs différends, et les tribunaux et arbitres doivent donner effet aux attentes et droits contractuels des parties.[2] Ainsi, si les parties autorisent explicitement les arbitrages collectifs dans leurs conventions d’arbitrage, ces dispositions sont valides et doivent être appliquées.
Toutefois, la Cour suprême des États-Unis a jugé que les demandes collectives ne peuvent être contraintes à l’arbitrage lorsque les parties avaient seulement convenu d’arbitrer leurs demandes individuelles. Dans les cas où une convention d’arbitrage ne traite pas des recours collectifs, un arbitre ne peut pas instituer un recours collectif parce que cela changerait la nature de l’arbitrage à un tel point qu’on ne peut pas présumer que les parties y ont consenti en acceptant simplement de soumettre leurs litiges à un arbitre.[3] Pour cette même raison, une convention d’arbitrage ambiguë ne peut fournir la base contractuelle nécessaire pour imposer un arbitrage collectif.[4]
Les Judicial Arbitration and Mediation Services Inc.[5] et American Arbitration Association[6] ont institué des règles spécifiques pour les arbitrages collectifs.
Les arbitrages collectifs peuvent sembler attrayants pour les entreprises; toutefois, ils peuvent finir par coûter beaucoup plus cher aux défendeurs qu’un procès. Par exemple, lors d’un arbitrage impliquant DoorDash, plus de 5 000 chauffeurs ont déposé des plaintes et la clause d’arbitrage exigeait que DoorDash paie tous les frais de dépôt individuels.[7] Si l’arbitrage des réclamations collectives continue d’augmenter aux États-Unis, les entreprises pourraient envisager de supprimer les clauses d’arbitrage de leurs contrats.
Obstacles aux arbitrages collectifs au Canada
Il existe des différences essentielles entre le Canada et les États-Unis qui rendent l’adoption d’arbitrages collectifs peu probable au Canada.
Premièrement, au Canada, les recours collectifs sont une créature des lois promulguées par les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux.
Deuxièmement, la législation provinciale sur la protection des consommateurs a occupé le terrain pour les recours collectifs en matière de consommation au Canada. Par exemple, en Ontario, la Loi sur la protection du consommateur interdit expressément les clauses de renonciation au recours collectif.[8] À ce titre, toute clause d’arbitrage contraignante qui vise à obliger l’arbitrage collectif est nulle. En outre, la Cour suprême du Canada a toujours confirmé la validité des lois sur la protection des consommateurs qui rendent nulle toute clause d’arbitrage qui régirait autrement un litige de consommation.[9]
Troisièmement, la Cour suprême du Canada a statué que les conventions d’arbitrage standard sont susceptibles d’être contestées comme étant inacceptables, car ces conventions sont souvent caractérisées par une inégalité dans le pouvoir de négociation, un écart important dans la sophistication des parties et des coûts initiaux substantiels associés à l’engagement d’un arbitrage qui peuvent empêcher les demandeurs de poursuivre leurs revendications.[10] Toutefois, la Cour suprême du Canada a refusé de se prononcer sur la question de savoir si les renonciations aux recours collectifs sont abusives en général. [11]
En Colombie-Britannique, les tribunaux ont conclu qu’une renonciation à un recours collectif pouvait être inadmissible et inapplicable selon la clause d’arbitrage et les circonstances de l’affaire, mais ils ont signalé que la Cour suprême du Canada devait donner plus de directives.[12]
Conclusion
Les arbitrages collectifs n’ont pas été adoptés au Canada et il est peu probable qu’ils le soient dans le cadre législatif et politique actuel. Les tribunaux canadiens ont reconnu l’importance des recours collectifs dans le système judiciaire canadien et suggèrent que toute clause contractuelle qui exclut de tels recours n’est pas exécutoire. Les parties au Canada devraient donc examiner attentivement dans quelle mesure elles s’appuient sur des clauses contractuelles qui prétendent restreindre l’accès aux procédures de recours collectif.
[1] AT&T Mobility LLC c. Concepcion, 563 U.S. 333, 131 S. Ct. 1740 (2011).
[2] Stolt-Nielsen S. A. c. AnimalFeeds Int’l Corp., 559 U.S. 662, 130 S. Ct. 1758 (2010).
[3] Ibid.
[4] Ibid.
[5] Judicial Arbitration and Mediation Services Inc, JAMS Class Action Procedures, 8 mai 2009.
[6] American Arbitration Association, Supplementary Rules for Class Arbitrations, 8 octobre 2003.
[7] Abernathy c. Doordash, Inc., 438 F. Supp. (3 d) 1062 (C.A.). Cal. 2020).
[8] Consumer Protection Act, 2002, S.O. 2002, c. 30, Sched. A, s. 8. Voir également la Loi sur la protection du consommateur, CQLR c P-40.1, art. 11.1 [LPC du Québec]; la Loi sur la protection du consommateur et les pratiques commerciales, SS 2014, c C-30.2, art. 101 [LPC de la Saskatchewan].
[9] Voir par exemple TELUS Communications Inc. c. Wellman, 2019 SCC 19.
[10] Uber Technologies c. Heller, 2020 SCC 16.
[11] Seidel c. TELUS Communications, 2011 SCC 15.
[12] Beck c Vanbex Group Inc., 2021 BCSC 1619; Pearce v. 4 Pillars Consulting Group Inc., 2021 BCCA 198; Petty v. Niantic Inc., 2022 BCSC 1077.
Alexandra Mitretodis est associée à Vancouver chez Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s. r. l. Elle se spécialise dans l’arbitrage international et national et les recours collectifs. Alexandra est également professeure adjointe à la Peter A. Allard School of Law de l’Université de la Colombie-Britannique.
Paige Mueller est avocate à Vancouver au cabinet Fasken Martineau DuMoulin LLP et se spécialise en litiges commerciaux et arbitrage.