Équité procédurale et justice arbitrale
Par William G. Horton, C. Arb., FCIArb
Cet article aborde certains aspects d’une décision récente de la Cour supérieure de justice de l’Ontario appliquant une norme de contrôle déférent à une demande d’annulation d’une sentence d’arbitrage international. Sur cette base, la Cour a conclu que, compte tenu de la procédure convenue par les parties et ordonnée par le tribunal, le refus d’un tribunal d’autoriser un témoin à fournir des preuves supplémentaires n’a pas privé une partie de l’occasion de présenter ses arguments.
La décision de la juge Marie-Andrée Vermette de la Cour supérieure de l’Ontario dans l’affaire Vento Motorcycles, Inc.c. United Mexican States[1] est un exemple de cas où un juge a confirmé une sentence arbitrale malgré la contestation de décisions procédurales clés prises par le tribunal.
À première vue, le fondement procédural de la contestation de la sentence semble convaincant. Le tribunal composé de trois membres avait refusé à Vento Motorcycles, le demandeur dans une affaire opposant un investisseur et un État au Mexique, la possibilité de présenter la preuve d’un témoin (« Ortúzar ») en réponse à un enregistrement audio dans lequel Ortúzar semblait contredire une preuve antérieure qu’il avait donnée lors de l’arbitrage. Vento a fait valoir que ce refus l’empêchait de fournir les explications d’Ortúzar sur les circonstances dans lesquelles il avait fait les déclarations lors de son appel téléphonique avec des fonctionnaires mexicains. À l’appui de cette position, Vento s’est également fondée sur l’arrêt Browne c. Dunn et sur le « principe d’équité procédurale reconnu depuis longtemps » selon lequel « une partie qui entend mettre en cause la crédibilité d’un témoin doit donner à ce dernier la possibilité de s’expliquer ». Pour défendre ces arguments, Vento s’est appuyée sur le sous-alinéa 34(2)(b)(ii) de la Loi type de la CNUDCI sur l’arbitrage commercial international(la « Loi type »),[2] qui prévoit qu’un tribunal peut annuler une sentence arbitrale commerciale internationale si « la partie qui a introduit la demande n’a pas été en mesure de présenter ses arguments », ainsi que sur l’article 18 de la Loi type, qui stipule que les parties à une procédure arbitrale « doivent être traitées sur un pied d’égalité et que chacune d’elles doit avoir la possibilité de présenter ses arguments ».
En ce qui concerne le critère d’examen à appliquer, les parties se sont accordées sur les points suivants :
Pour justifier l’annulation d’une sentence pour des raisons d’équité ou de justice naturelle, la conduite du tribunal doit être suffisamment grave pour heurter nos notions les plus fondamentales de moralité et de justice. L’intervention judiciaire pour des violations alléguées des exigences de la Loi type en matière d’équité de la procédure ne sera justifiée que lorsque la conduite du tribunal arbitral est si grave qu’elle ne peut être tolérée en vertu du droit ontarien.[3]
La Cour d’appel de l’Ontario a adopté cette norme dans l’affaire Consolidated Contractors Group S.A.L. (Offshore) c. Ambatovy Minerals S.A., 2017 ONCA 939 au paragraphe 65, et plus récemment dans l’affaire All Communications Network of Canada c. Planet Energy Corp., 2023 ONCA 319 aux paragraphes. 42 et 48. Il convient de noter qu’en appliquant la norme des « notions fondamentales de moralité et de justice » aux contestations relatives à l’équité procédurale en vertu du sous-alinéa 34(2)a)(ii), la Cour d’appel de l’Ontario a adopté une approche conforme à celle des contestations fondées sur un « conflit avec l’ordre public » en vertu du sous-alinéa 34(2)b)(ii), qui porte principalement sur le droit substantiel. Sur la base de cette norme de contrôle déférent, appliquée de manière cohérente dans le cadre de l’article 34, les lois de l’État où la demande d’annulation est déposée ne doivent pas être appliquées directement aux contestations fondées sur des questions de fond ou de procédure; seules les valeurs fondamentales doivent être prises en compte[4].
En appliquant cette norme de contrôle déférent, la juge Vermette a conclu que Vento n’avait pas réussi à établir qu’elle avait été incapable de présenter ses arguments ou que la conduite du tribunal était si grave qu’elle ne pouvait être tolérée en vertu du droit ontarien. Ses motifs doivent être lus dans leur intégralité. Toutefois, certains points essentiels peuvent être résumés comme suit :
- Les parties ont convenu d’une procédure, qui a été intégrée dans une ordonnance du tribunal, selon laquelle les preuves seraient échangées par des déclarations de témoins avec deux séries de mémoires. La procédure ne prévoyait pas le droit de déposer d’autres preuves après la deuxième série de mémoires de réponse et de réponse à la réplique.
- Vento a choisi, sans explication, de présenter les preuves d’Ortúzar avec son mémoire de réponse plutôt que dans le cadre de son argumentation initiale. Si elle avait suivi la procédure convenue, elle aurait eu la possibilité de répondre à tout témoignage contradictoire contenu dans la réponse du Mexique, comme l’enregistrement.
- La règle de BrowneDunn n’était pas applicable ou enfreinte, et son objectif essentiel d’équité n’a pas été compromis dans ces circonstances.
Cette décision est importante parce que la procédure adoptée par les parties et le tribunal est très courante dans l’arbitrage international et est maintenant largement utilisée dans les arbitrages non internationaux également. L’un des objectifs de la procédure est de veiller à ce que les preuves étayant la demande ou la défense d’une partie soient présentées le plus tôt possible, précisément pour que la partie adverse ait la possibilité de contester et de présenter des preuves contradictoires et que les preuves puissent être clôturées selon un échéancier fixe avant l’audience. À cet égard, la procédure d’arbitrage est très différente de la procédure judiciaire dans laquelle toutes les preuves sont présentées lors d’un procès où l’effet de surprise est toujours possible et doit être évité par des règles comme celles de l’affaire Browne c. Dunn.
L’objectif de créer une procédure d’administration de la preuve plus efficace, plus rapide et plus restreinte dans le cadre de l’arbitrage ne peut être atteint si les tribunaux ont peur d’appliquer une discipline procédurale par crainte de voir leurs sentences annulées. La formulation déférente de la norme d’examen appliquée avec une appréciation des différences entre l’arbitrage et le litige est essentielle pour éviter ce résultat.
[1] 2023 ONSC 5964 (Cour supérieure de justice de l’Ontario)
[2] La Loi type a été promulguée en Ontario avec quelques modifications qui ne sont pas pertinentes pour le présent commentaire : se reporter à l’article 5 et à l’annexe 2 de la Loi sur l’arbitrage commercial international, 2017, S.O. 2017, c. 2, annexe 5.
[3] Vento, par. 61.
[4] Cette formulation de la norme d’examen a également été jugée pertinente pour les arbitrages nationaux en Ontario et dans d’autres provinces. Voir par exemple les affaires citées dans ENMAX Energy Corporation c. TransAlta Generation Partnership, 2022 ABCA 206, au paragraphe 53 : « Comme mentionné précédemment, bien que nous reconnaissions que la formulation de la législation sur l’arbitrage national et international ne soit pas identique, nous ne voyons aucune raison de principe de ne pas tenir compte des commentaires judiciaires et de l’éclairage apporté par les affaires impliquant des arbitrages internationaux. » 2017, S.O. 2017, c. 2, annexe 5.
William G. Horton, C. Arb., FCIArb est un arbitre indépendant pour les litiges commerciaux canadiens et internationaux. Il exerce à Toronto.