L’utilisation d’outils alimentés par les technologies de l’information dans l’arbitrage
Par Tracey M. Cohen, Roy Cotton-O’Brien and Alexandra Mitretodis
À l’heure actuelle, les règlements et les institutions d’arbitrage offrent relativement peu de conseils sur l’utilisation de l’intelligence artificielle et de l’intelligence artificielle générative dans les procédures d’arbitrage. Cet article fournit des conseils sur les pratiques exemplaires pour l’adoption d’outils alimentés par l’IA dans les procédures d’arbitrage et examine les perspectives et les risques découlant de l’utilisation de ces outils, y compris la possibilité de recourir à des arbitres alimentés par l’IA.
Orientations sur l’utilisation de l’IA dans les arbitrages
Certaines institutions d’arbitrage ont commencé à fournir des orientations concernant l’utilisation de l’intelligence artificielle (« IA ») ou de l’intelligence artificielle générative (« IA générative ») dans les procédures d’arbitrage. L’American Arbitration Association et l’International Centre for Dispute Resolution ont créé un laboratoire d’IA et publié une liste de principes directeurs pour l’adoption de l’IA, le Silicon Valley Arbitration and Mediation Center a publié un projet de lignes directrices pour tirer parti de l’IA, et la Commission d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale (« CCI ») a publié un rapport sur l’exploitation des outils technologiques, y compris les outils équipés d’une IA d’apprentissage automatique.
Cet article fournit des conseils supplémentaires sur l’utilisation de l’IA dans le contexte de l’arbitrage.
Comment les outils alimentés par l’IA peuvent-ils être utilisés dans l’arbitrage?
L’administration de la preuve électronique : Les plateformes d’administration de la preuve électronique et de gestion des documents utilisent de grands modèles de langage pour rendre le processus d’examen des documents plus efficace et plus précis. Ces plateformes apprennent, à partir d’échantillons de documents examinés par les avocats, à déterminer la réactivité, la pertinence et le privilège et à repérer les renseignements personnels identifiables.
Recherche et rédaction juridiques : Les plateformes alimentées par l’IA peuvent fournir des cas pertinents (y compris leur traitement), la législation, des résumés, des précédents, des passages clés et des citations. Des outils peuvent également être utilisés pour aider à convertir des transcriptions ou des notes d’entretiens avec des témoins en ébauches de déclarations de témoins.
Transcription et traduction : Les technologies de reconnaissance vocale et de conversion de la parole en texte peuvent générer automatiquement des transcriptions de témoignages et d’audiences. L’IA et la traduction automatique peuvent servir à traduire automatiquement le texte et la voix pour les procédures comportant des documents et des témoins en langue étrangère.
Analyse prédictive : Les outils de renseignement sur les arbitres peuvent être utilisés par les parties pour les aider à faire preuve de diligence raisonnable lors de la nomination des arbitres. Ces outils peuvent analyser les affaires antérieures des arbitres, y compris les décisions sur des questions précises, la durée de la procédure arbitrale et les questions posées par l’arbitre lors des audiences. Cela permet également aux parties de déceler et de prévenir les conflits d’intérêts potentiels. Ces mêmes outils peuvent utiliser des algorithmes d’apprentissage automatique et d’analyse prédictive pour analyser un ensemble de données et évaluer l’issue probable d’une affaire. Ils contribuent également à la prévision des frais de justice.
Risques de l’IA
Hallucinations de l’IA : Une hallucination de l’IA se produit lorsqu’un grand modèle de langage génère de faux renseignements. Les praticiens de l’arbitrage doivent être attentifs au contenu généré par l’IA sur lequel ils s’appuient, qu’il provienne d’un agent conversationnel ou d’un outil de recherche, et mettre en place des processus raisonnables pour tenter de confirmer que les résultats de l’outil d’IA sont exacts.
Maintien du privilège : Les réunions avec les clients sont souvent organisées à l’aide de plateformes de vidéoconférence où les applications de prise de notes de l’IA « assistent » à ces réunions pour en transcrire les notes et en générer des résumés. Les praticiens de l’arbitrage doivent prendre des précautions pour s’assurer que la confidentialité de ces notes et résumés générés par l’IA est maintenue, car certaines plateformes ne sont pas sécurisées et les tribunaux peuvent considérer que les transcriptions ne sont pas couvertes par le secret professionnel de l’avocat ou le secret du contentieux, et pourraient ordonner la communication de ces documents.
Protection des renseignements personnels et confidentialité : L’IA nécessite de grandes quantités de données pour apprendre et générer du contenu. Les praticiens de l’arbitrage doivent s’assurer que des mesures de protection de la confidentialité et de la sécurité des données sont mises en place lorsqu’ils utilisent des outils d’IA. Méfiez-vous des outils gratuits d’IA générative, car rien ne permet de savoir avec certitude que les renseignements que vous introduisez dans l’outil resteront confidentiels. Vous devez veiller à ce que les données ne tombent pas entre les mains d’un tiers.
Manque de transparence : Les grands modèles de langage doivent être alimentés par un volume important de données représentatives de celles que le modèle rencontrera une fois qu’il sera déployé, afin de garantir une grande précision. Les arbitrages commerciaux étant généralement privés et confidentiels, les données disponibles sont plus limitées que dans le cas d’un litige. En outre, ce grand volume de données crée ce que l’on appelle le problème de la « boîte noire de l’IA », car on ne sait pas exactement ce que le système d’IA a utilisé et analysé pour générer ses prédictions ou son analyse. Il importe également de garantir la transparence de la procédure d’arbitrage. Les parties devraient discuter de l’utilisation de l’IA générative dans la procédure et s’assurer que le tribunal est au courant de l’utilisation de ce type d’outil.
Partialité : L’IA n’est pas exempte de partialité. Si les données d’entrée sont biaisées, les données de sortie le seront également. Il convient de garder à l’esprit, lorsqu’on s’appuie sur des contenus d’IA générative, que les systèmes d’IA peuvent reproduire les biais des données sur lesquelles ils ont été formés, y compris les biais liés au sexe, à la race et à d’autres facteurs.
Conformité réglementaire : Les praticiens de l’arbitrage doivent s’assurer que toute utilisation d’outils d’IA est conforme aux réglementations du siège de l’arbitrage, du ressort des règles de fond et du lieu d’exécution. Les parties pourraient, par exemple, être confrontées à des problèmes d’exécution si l’IA était utilisée dans la procédure d’arbitrage d’une manière jugée inéquitable du point de vue de la procédure.
À venir : Quelle est la prochaine étape? Des arbitres propulsés par l’IA?
Compte tenu des avancées et de l’efficacité de l’IA générative, il est possible d’imaginer que certains litiges conviennent à un arbitre propulsé par l’IA. En fait, eBay et Paypal règlent déjà la majorité de leurs litiges par l’intermédiaire d’une plateforme de règlement des différends en ligne pilotée par des algorithmes. Plusieurs autres plateformes tentent d’intégrer l’IA dans la prise de décision. En outre, certains tribunaux dans le monde mettent en place des plateformes de règlement des différends en ligne pour les infractions au code de la route, les petites créances, les mandats et les affaires familiales.
Certains prétendent que les arbitres de l’IA seraient moins chers, qu’ils connaîtraient bien toutes les langues et les lois de plusieurs ressorts, qu’ils connaîtraient bien tous les secteurs, qu’ils seraient disponibles à tout moment, qu’ils seraient impartiaux et qu’ils pourraient faire l’objet d’un audit. Toutefois, même si cela était vrai, un arbitre propulsé par l’IA manquerait probablement d’intelligence émotionnelle, de contexte, de capacités de jugement, d’aptitude à réconcilier les erreurs et les incohérences et des compétences nécessaires pour garantir une procédure officielle et équitable. En outre, bien que la Convention de New York et la Convention du CIRDI (Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements) ne stipulent pas expressément que les arbitres doivent être des personnes physiques, de nombreuses lois sur l’arbitrage et règles institutionnelles exigent que les arbitres soient des personnes physiques ou qu’ils possèdent des qualités humaines.
Accepter l’innovation et le changement
L’arbitrage est censé être plus efficace que la procédure judiciaire. L’utilisation d’outils alimentés par l’IA peut aider les praticiens de l’arbitrage à atteindre cet objectif. Toutefois, il est essentiel que l’utilisation de ces outils soit transparente et que tous les renseignements générés soient examinés pour en vérifier l’exactitude. Il est également essentiel que les praticiens s’efforcent de comprendre les risques, les limites et les partis pris potentiels.
Tracey M. Cohen, c.r., FCIArb, est une avocate de premier plan dans le domaine des litiges commerciaux et de l’arbitrage. Elle est associée au bureau de Fasken à Vancouver. Elle copréside le groupe de litige commercial de Fasken en Colombie-Britannique et préside le comité directeur national d’arbitrage international de ce cabinet. Elle a obtenu son titre de FCIArb en 2024 et est membre de la Western Canada Commercial Arbitration Society.
Alexandra Mitretodis est une associée du bureau de Fasken à Vancouver. Sa pratique porte sur l’arbitrage commercial international et national, le litige commercial et les recours collectifs. Elle possède une vaste expérience des clients du secteur des technologies, ainsi qu’une expertise en matière de protection des renseignements personnels et de cybersécurité, de concurrence et de protection des consommateurs. Alexandra est également directrice du Vancouver International Arbitration Center.
Roy Cotton-O’Brien est un avocat du bureau de Fasken à Vancouver. Sa pratique est axée sur les différends commerciaux complexes, y compris l’arbitrage, les appels et les questions d’insolvabilité.