La médiation aux Émirats arabes unis
Par Wolf von Kumberg, BA, LL.B, LL.M, FCIArb, maître-médiateur à l’Association d’arbitrage américaine (AAA)
Le présent article porte sur le recours à la médiation dans les Émirats arabes unis (EAU). Contrairement à ce que l’on observe au Canada, il existe dans cette région une réticence historique à recourir à la médiation. Cependant, certains signes montrent que les choses commencent à changer. Au fur et à mesure que la médiation s’implante dans la région, il reste à voir si elle se développera selon un modèle semblable à celui que nous connaissons au Canada avec, peut-être, des nuances propres au Moyen-Orient.
Ayant pratiqué le droit en tant que jeune avocat en Ontario, j’ai été un témoin direct de l’évolution de la médiation dans cette province. J’ai ensuite passé la plus grande partie de ma vie juridique en tant que conseiller juridique international, m’occupant du volet juridique des activités de plusieurs entreprises mondiales de technologie aérospatiale au Moyen-Orient. En quelque 25 ans, j’ai assisté au développement de la PRD dans la région. La procédure principalement utilisée était l’arbitrage international, puisque dans la plupart des cas, une disposition de la Chambre de commerce internationale (CCI) ou de la Cour d’arbitrage international de Londres (CAIL) serait acceptée par la contrepartie locale dans le cadre d’une clause relative aux litiges. Cependant, chaque fois que j’ai tenté de discuter de l’inclusion d’une clause de médiation, la suggestion a été rejetée. La médiation n’était pas considérée comme un mécanisme acceptable de résolution des litiges, elle n’était pas pleinement comprise ou, pire encore, n’était pas jugée digne de confiance en tant qu’instrument crédible de résolution des différends commerciaux.
Cette attitude a considérablement changé ces cinq dernières années, surtout dans les EAU. En tant que facilitateur impartial à temps plein, siégeant à la fois comme arbitre et surtout comme médiateur, j’ai passé une grande partie de mon temps aux EAU à encourager l’utilisation des deux méthodes de prévention et de règlement des différends (PRD). J’ai notamment travaillé à Abu Dhabi, j’ai travaillé avec l’Abu Dhabi Global Market (ADGM) et avec la greffière de son tribunal, Linda Fitz-Alan, pour faire de la médiation un instrument implicite du processus de résolution des litiges. Nous avons organisé des séminaires à l’intention des cabinets d’avocats locaux afin de les sensibiliser aux avantages de la médiation et, en collaboration avec le Centre for Effective Dispute Resolution (CEDR), avons dispensé des cours de formation de médiateurs au ADGM, ce qui a permis de mettre en place un groupe de médiation commerciale et un groupe distinct de médiation entre investisseurs et État, situés là-bas. Ce travail a suscité un intérêt marqué pour le processus en soi et pour la manière de l’utiliser au mieux dans les litiges commerciaux.
La Convention de Singapour sur la médiation a, en soi, été un élément catalyseur pour les gouvernements de la région en éveillant l’attention et l’intérêt dans la médiation commerciale. Du seul fait de sa simple existence, la Convention a permis au processus de médiation d’acquérir la crédibilité et la confiance des États. En signant et en ratifiant la Convention, le Moyen-Orient a très vite reconnu les avantages que le processus représentait pour le commerce international. L’Arabie saoudite et le Qatar ont été les premiers à signer et à ratifier la Convention. Depuis, les EAU ont annoncé leur intention de signer la Convention et l’Oman a indiqué qu’il en ferait peut-être autant. Devant cette reconnaissance étatique du fait que la médiation est effectivement un processus crédible de résolution des différents internationaux, l’intérêt des EAU pour la médiation a fortement augmenté.
C’est du moins ce que démontre le fait qu’en 2021, le gouvernement émirati au niveau fédéral a adopté une loi sur la médiation (Loi fédérale no 6 de 2021), loi qui est maintenant élargie par le décret-loi fédéral no 40 de 2023 relatif à la médiation et à la conciliation dans les différends d’ordre civil et commercial. Cette loi consacre le principe des « communications sans préjudice », qui sont essentielles à la médiation, mais qui n’étaient pas reconnues en tant que principe dans le Code de procédure civil. Elle prévoit donc, avec le principe de la confidentialité, les fondements nécessaires à la tenue de médiations aux EAU. Elle traite également de la mise en place de centres de médiation à l’échelle des EAU et des dispositions d’exécution par le tribunal des ententes de règlement conclues dans le cadre de la médiation.
Outre l’adoption de cette loi, on porte un nouvel intérêt dans la promotion de la médiation par les institutions locales. Les tribunaux locaux à Abu Dhabi et à Dubaï ont établi un service de médiation pour tous les litiges portés devant la Cour des petites créances. La loi exige également que tous les réclamants à l’endroit du gouvernement de Dubaï doivent d’abord tenter de parvenir à un accord au moyen d’une médiation avant de pouvoir en saisir le tribunal. Le Dubaï International Arbitration Centre (DIAC) a adopté la médiation. J’ai prêté mon concours à la rédaction de ses règles de médiation, qui ont été promulguées en octobre 2023. Les premières médiations pratiquées en vertu de ces règles ont déjà lieu à l’heure actuelle. Le DIAC de Dubaï et l’ADGM d’Abu Dhabi ont d’ores et déjà intégré un service de médiation dans leur système judiciaire. La Chambre de commerce de Dubaï a mis en place un service de médiation interentreprises ouvert à tous les membres.
Contrairement à ce qui se passe au Canada, la médiation aux EAU est encore en cours de développement. S’il est vrai que la médiation suscite l’intérêt, les utilisateurs, les avocats et les institutions en sont encore à l’étape du renforcement des capacités qui permettront de l’utiliser de manière efficace, Il existe toujours un besoin de médiateurs formés et compétents qui connaissent à la fois la langue arabe et la culture locale. L’établissement de relations est un élément culturel clé – peut-être encore plus important que dans le cadre des médiations canadiennes, qui utilisent une approche commerciale plus pragmatique et davantage axée sur les contrats. Un autre élément clé qui vient tout juste d’être introduit au moyen de la loi sur la médiation est que les négociations « sans préjudice » sont désormais protégées. Certes, dans le processus canadien de médiation, ce privilège est un acquis, mais il reste encore à être consacré dans les médiations locales. Au fur et à mesure que la médiation s’implante dans la région, on s’attend à ce qu’elle évolue selon un modèle semblable au modèle canadien, mais avec des nuances moyen-orientales qui lui sont propres. Cette évolution comprend le recours à la médiation dans le cas de différends au sein d’entreprises familiales, qui représentent une grande partie des grandes entreprises de la région. Il faudra également mettre l’accent sur le renforcement des relations et du dialogue, deux éléments essentiels aux mécanismes traditionnels de résolution des différends (comme le majlis) dans la région.
Le rôle de la médiation et l’intérêt qu’on lui porte se sont accrus de façon exponentielle depuis ma première expérience avec la résolution de différends dans la région. Selon ma propre expérience et compte tenu du développement économique de la région, la médiation et son application sont inévitablement appelées à croître davantage à l’avenir.
Wolf von Kumberg est médiateur et arbitre spécialisé dans les litiges internationaux.