L’arbitrage avec des parties insolvables après l’arrêt Petrowest
Par David Gruber and Andy Hur
Des objectifs politiques concurrents sont en jeu lorsqu’une partie soumise à une procédure d’insolvabilité supervisée par un tribunal est liée par une convention d’arbitrage dans le cadre d’un différend en cours ou en suspens. Dans l’affaire Peace River Hydro Partners c. Petrowest Corp, la Cour suprême du Canada détermine qu’une convention d’arbitrage peut être inopérante dans un tel contexte, mais ne décide pas que ce serait le cas dans toutes les affaires de ce type. En structurant les conventions d’arbitrage de manière à les aligner autant que possible sur les objectifs politiques des procédures d’insolvabilité, on peut permettre à l’arbitrage et à l’insolvabilité de coexister.
La popularité de l’arbitrage en tant que forum de résolution des différends dans le contexte de l’insolvabilité commerciale donne lieu à une interaction complexe, marquée par la tension entre des politiques publiques concurrentes. Cette interaction a été soulignée dans l’arrêt historique de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Peace River Hydro Partners c. Petrowest Corp. (« Petrowest »). Cet arrêt précise les circonstances dans lesquelles une procédure d’insolvabilité peut remplacer une convention d’arbitrage par ailleurs valide.
D’une manière générale, l’insolvabilité et l’arbitrage s’opposent, étant donné que l’insolvabilité nécessite une procédure centralisée, tandis que l’arbitrage implique une approche décentralisée de la résolution des différends. Une procédure d’insolvabilité est centralisée, favorisant un processus collectif qui prime sur les réclamations individuelles des créanciers. Les actions à l’encontre du débiteur sont regroupées dans une procédure unique soumise à une seule compétence. L’égalité entre les créanciers est ainsi favorisée en évitant les scénarios dans lesquels les créanciers les plus affirmatifs revendiquent des créances au détriment de ceux qui négocient avec le débiteur. Simultanément, les débiteurs peuvent éviter de se défendre contre des réclamations dans plusieurs procédures ou devant diverses compétences, ce qui réduit le préjudice subi par le débiteur tout en optimisant l’efficacité. En revanche, l’arbitrage fonctionne selon un modèle décentralisé, offrant des avantages stratégiques qui ne sont pas toujours accessibles dans le cadre des procédures judiciaires traditionnelles.
Dans l’arrêt Petrowest, la Cour se penche sur la question de savoir quand une convention d’arbitrage par ailleurs valide est inapplicable en vertu du paragraphe 15(2) de l’ancien Arbitration Act (Colombie-Britannique) (la « Loi ») dans le contexte d’une mise sous séquestre ordonnée par un tribunal. Dans le cadre de la mise sous séquestre, Petrowest a intenté une action civile en Colombie-Britannique contre Peace River pour des créances prétendument dues. Peace River a demandé la suspension de l’instance.
Le problème central tournait autour de deux questions clés : le paragraphe 15(1) de la Loi était-il appliqué et, dans l’affirmative, le tribunal avait-il la compétence de refuser le sursis au motif que la convention d’arbitrage en cause est « nulle, inopérante ou non susceptible d’être exécutée » en vertu du paragraphe 15(2). La Cour suprême du Canada a approuvé le rejet du sursis, mais pour une raison différente de celle des instances inférieures. La majorité des juges a estimé que la doctrine de la séparabilité ne devait pas s’appliquer au cas d’espèce et que les séquestres ne pouvaient pas annuler unilatéralement une convention d’arbitrage par ailleurs valide.
La Cour établit un cadre en deux volets. Dans le premier volet, le demandeur doit prouver les conditions techniques préliminaires des dispositions relatives à la suspension obligatoire dans la loi sur l’arbitrage applicable. Dans le second volet, le fardeau incombe à la partie qui s’oppose à l’arbitrage. Cette partie doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que la convention d’arbitrage est « nulle, inopérante ou non susceptible d’être exécutée ». À défaut de cette démonstration, le tribunal est tenu d’accorder un sursis à la procédure en faveur de l’arbitrage. Chaque cas doit être tranché en fonction des faits qui lui sont propres. La Cour a dressé une liste non exhaustive des facteurs à prendre en considération :
- L’incidence de l’arbitrage sur l’intégrité de la procédure d’insolvabilité.
- Le préjudice relatif causé aux parties par la résolution du différend par voie d’arbitrage.
- L’urgence de régler le différend.
- L’applicabilité d’une suspension de la procédure en vertu d’une loi sur la faillite ou l’insolvabilité.
- Tout autre facteur que le tribunal juge important dans les circonstances.
La Cour a jugé la convention d’arbitrage inopérante en raison de son interférence potentielle avec la résolution systémique et efficace de la procédure d’insolvabilité. Il importe de noter que la Cour estime que la simple existence d’une insolvabilité n’est pas un motif intrinsèquement suffisant pour rendre une convention d’arbitrage inopérante.
Les parties peuvent simplement convenir d’arbitrer leurs différends malgré une procédure d’insolvabilité en cours. Ce faisant, elles doivent être prudentes quant aux risques associés à une procédure arbitrale manifestement compliquée ou « chaotique », comme dans l’affaire Petrowest. Ce point est particulièrement important dans un contexte commercial où les parties ont conclu plusieurs ententes contenant chacun sa propre clause d’arbitrage. Dans de tels cas, les parties peuvent avoir intérêt à substituer une seule convention d’arbitrage « principale » qui régit tous les différends.
Un requérant peut également demander une levée temporaire de la suspension de la procédure pour faire appliquer la convention d’arbitrage. Pour décider de la levée de la suspension de la procédure, le tribunal tient compte de l’ensemble des circonstances et évalue le préjudice potentiel pour toutes les parties concernées. Pour obtenir gain de cause, le demandeur doit démontrer qu’un préjudice substantiel est susceptible de se produire si la suspension est maintenue et établir les motifs équitables d’une telle déclaration. La mise en œuvre d’une procédure d’arbitrage simplifiée ou accélérée pourrait renforcer les arguments en faveur de la levée de la suspension. Ceci, associé à la reconnaissance par le tribunal de l’importance de l’autonomie des parties, en particulier dans la sphère commerciale, pourrait renforcer considérablement les arguments en faveur de la levée de la suspension, en particulier s’il peut être établi qu’une restructuration réussie ne sera pas retardée en permettant au différend de se dérouler indépendamment par l’intermédiaire de l’arbitrage.
David Gruber est codirecteur du service des litiges et du règlement des différends de Bennett Jones S.E.N.C.R.L. Il exerce dans les domaines de l’arbitrage et des litiges commerciaux, de l’insolvabilité et de la restructuration et siège également en tant qu’arbitre.
Andy Hur est stagiaire chez Bennett Jones S.E.N.C.R.L.