Questions stratégiques : l’importance constante du Règlement d’arbitrage de la CNUDCI de 1976 dans l’arbitrage moderne
Par Gina Murray
En 2010, la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI) a achevé la première et la plus importante révision du Règlement d’arbitrage de la CNUDCI, initialement publié en 1976. Les modifications de 2010 avaient pour but de mettre à jour ce règlement afin de tenir compte de la pratique moderne de l’arbitrage tout en préservant la structure et la flexibilité du Règlement de 1976. Cet article examine l’application présomptive du Règlement de 1976 aux différends découlant d’ententes conclues avant le 15 août 2010, puis souligne certains des changements clés qui devraient être pris en compte dans la stratégie d’arbitrage globale lorsque l’on envisage de recourir à l’arbitrage en vertu du Règlement de 1976.
Introduction
Près de 50 ans se sont écoulés depuis que la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (la « CNUDCI ») a publié la première version du Règlement d’arbitrage de la CNUDCI en 1976 (le « Règlement de 1976 »). Depuis lors, le Règlement de 1976 n’a fait l’objet que d’une seule révision importante en 2010 (le « Règlement de 2010 ») visant à moderniser le Règlement de la CNUDCI afin de répondre aux exigences de l’arbitrage contemporain tout en conservant la souplesse procédurale caractéristique du Règlement de 1976[1].
Plus de 13 ans après l’entrée en vigueur du Règlement de 2010, le 15 août 2010, l’arbitrage entre investisseurs et États a manifestement démontré que le Règlement de 1976 conserve une place prépondérante dans la pratique arbitrale d’aujourd’hui. En effet, une étude empirique de 2021 portant sur les coûts, les dommages et la durée dans l’arbitrage entre investisseurs et États, qui a examiné plus de 400 cas, révèle que 79 % des affaires tranchées en vertu du Règlement de la CNUDCI l’ont été en vertu du Règlement de 1976[2]. Bien que les statistiques relatives aux différends commerciaux au Canada ne soient pas expressément rapportées, il est très probable que les conseillers en arbitrage soient confrontés au Règlement de la CNUDCI à un moment ou à un autre de leur carrière.
Quel Règlement appliquer : 1976 ou 2010?
Le Règlement de 2010 stipule qu’il est présumé s’appliquer uniquement aux conventions d’arbitrage renvoyant au Règlement de la CNUDCI qui ont été conclues après le 15 août 2010 et qui ne prévoient pas l’application d’une version particulière du Règlement de la CNUDCI par voie de convention[3]. Par conséquent, le Règlement de 1976 demeure applicable aux arbitrages menés en vertu de conventions conclues datées d’avant le 15 août 2010, ou si les parties en conviennent expressément.
Deux changements clés entre 1976 et 2010
Bien que le Règlement de 1976 ait fait l’objet d’une révision substantielle, l’analyse ci-dessous ne met en lumière que deux des nombreux changements que les parties pourraient vouloir prendre en compte lorsqu’elles sont confrontées au choix entre le Règlement de 1976 et le Règlement de 2010.
Réponse à l’avis d’arbitrage (Règlement de 2010, art. 4)
Les changements apportés à l’article 4 exigent que le défendeur soumette une réponse dans les 30 jours suivant la réception de l’avis d’arbitrage du demandeur. Ce changement a été conçu pour corriger un déséquilibre dans le cadre du Règlement de 1976, qui ne permettait pas au défendeur d’exposer sa position avant la constitution du tribunal, et souvent après que les procédures et l’échéancier de l’affaire aient été établis[4].
L’intérêt de ce changement dépendra du statut de la partie en tant que demandeur ou défendeur. En tant que demandeur, il peut être avantageux de contrôler le récit jusqu’à ce que la constitution du tribunal et les étapes importantes de la procédure aient été établies. Toutefois, en tant que défendeur, l’avantage potentiel de fournir une réponse au début du différend doit être mis en balance avec d’autres considérations stratégiques qui découlent de l’acceptation d’utiliser le Règlement de 2010.
Objections relatives à la compétence (Règlement de 1976, par. 21.4; Règlement de 2010, par. 23.3)
Les révisions du Règlement de 1976 ont éliminé la présomption selon laquelle, en règle générale, le tribunal devrait statuer sur les objections relatives à la compétence en tant que questions préliminaires. Le Règlement de 2010 prévoit expressément que le tribunal peut statuer sur une question de compétence en tant que question préliminaire ou dans une sentence sur le fond.
Lorsqu’elles choisissent la version du Règlement de la CNUDCI à utiliser, les parties doivent se demander si elles peuvent légitimement contester la compétence du tribunal. Dans ce cas, la partie qui conteste la compétence bénéficierait de la présomption contenue dans le Règlement de 1976 pour éviter d’être obligée de traiter les questions de fond en litige alors que le tribunal n’est peut-être pas compétent pour trancher la question[5].
Conclusion
Les parties désireuses de bénéficier de la structure et de la souplesse du Règlement de la CNUDCI devraient examiner attentivement les avantages (ou inconvénients) potentiels liés au Règlement de la CNUDCI actuellement en vigueur ou au Règlement de 1976. En outre, bien que l’accent ait été mis sur l’incidence du Règlement de 2010 sur l’efficacité et la modernisation de la pratique arbitrale actuelle, ces facteurs devraient être relégués au second plan par rapport à des questions stratégiques plus précises, comme les questions de compétence et les déséquilibres procéduraux. Conformément à la flexibilité générale du Règlement de la CNUDCI, toute question liée à l’efficacité et à la pratique contemporaine peut être facilement traitée par une ordonnance de procédure, quelle que soit la version du Règlement de la CNUDCI finalement choisie pour régir le différend.
[1] Le Règlement de la CNUDCI a également été modifié en 2013 et en 2021. Ces modifications se sont toutefois limitées à l’ajout du paragraphe 1(4) pour intégrer le Règlement de la CNUDCI sur la transparence dans l’arbitrage entre investisseurs et États fondé sur des traités, et du paragraphe 1(5), qui traite de l’application du Règlement d’arbitrage accéléré de la CNUDCI (2021).
[2] Hodgson et coll., « 2021 Empirical Study: Costs, Damages and Duration in Investor State Arbitration », British Institute of International and Comparative Law and Allen & Overy, juin 2021, à l’adresse : https://www.biicl.org/documents/136_isds-costs-damages-duration_june_2021.pdf. L’étude a porté sur plus de 400 cas, dont un tiers environ a été tranché en vertu du Règlement de la CNUDCI.
[3] Règlement de la CNUDCI de 2010, par. 1.2.
[4] S. Finizio et coll., Revised UNCITRAL Arbitration Rules, (juillet 2010) (WilmerHale).
[5] Gary Born, International Commercial Arbitration, 3e édition (Kluwer Law International, 2020), à la p. 1340.
Gina Murray est associée au sein du groupe Litige et Résolution des différends de Blakes à Calgary. Sa pratique est essentiellement dans tous les domaines du contentieux et du règlement des différends en entreprise et commerciaux. Elle possède de l’expérience dans un éventail d’autres domaines, dont les débats en appel, l’arbitrage, les assurances, le droit administratif et le droit constitutionnel.