Affaire TDH c. Du Confinements associés à la COVID-19 et avis d’arbitrage suffisant
Par Joshua Karton
La décision rendue dans l’affaire TDH c. Du, [2023] ONSC 1808, clarifie deux questions relatives à l’exécution des sentences arbitrales en vertu de la Loi type de la CNUDCl : le seuil relatif à l’avis d’arbitrage suffisant dans le contexte des confinements associés à la COVID-19, et les effets différents de la chose jugée découlant d’une procédure étrangère d’exécution directe d’une sentence arbitrale par rapport à une procédure d’exécution d’une décision judiciaire ayant reconnu la sentence.
Introduction
La décision rendue dans Tianjin Dinghui Hongjun Equity Partnership c. Du, 2023 ONSC 1808 (« TDH c. Du ») éclaircit deux questions relatives à l’exécution des sentences arbitrales en vertu de la Loi type de la CNUDCl : l’avis d’arbitrage suffisant pendant les confinements associés à la COVID-19 et l’effet de la chose jugée découlant d’une procédure étrangère relative aux sentences arbitrales.
Le différend est survenu à la suite d’une prolongation de prêts par TDH à des entreprises chinoises contrôlées par Sha Du et Ran Du, qui sont mariés ensemble. Les Du avaient signé une garantie en faveur de TDH par laquelle ils assumaient la responsabilité personnelle de ces prêts. En juillet 2020, TDH a lancé un processus d’arbitrage devant la Cour internationale d’arbitrage de Shenzhen (SCIA) à l’encontre des créanciers commerciaux et des Du personnellement alléguant un non-paiement. Une décision a été rendue en faveur de TDH, et TDH a demandé l’exécution de cette décision en Ontario où les Du sont des citoyens et possèdent une propriété.
Contexte
Dès le début de la pandémie liée à la COVID-19, les Du ont décidé de rester dans leur maison à Toronto. Les Du avaient également une résidence à Beijing (qui a été vendue avant la procédure, à l’insu de TDH) et un bureau commercial à Beijing, qui figurait comme domicile élu aux fins de signification des Du dans les accords de prêt. Un avis d’arbitrage a été envoyé aux entités commerciales et aux Du à ce bureau, après que des tentatives de signification à personne à Beijing ont échoué. Un cabinet d’avocats a déposé un acte de comparution pour les personnes morales et les Du dans la procédure d’arbitrage; cependant, la procuration de représentation des Du était signée par un dirigeant d’une personne morale et non par les Du eux-mêmes. Le processus d’arbitrage lancé devant la SCIA a débuté sans éléments de preuve ni comparution de la part des Du.
En août 2021, le tribunal a rendu une sentence en faveur de TDH. TDH a ensuite demandé et obtenu (ex parte et prima facie ) une ordonnance de reconnaissance de la sentence auprès d’un tribunal chinois.
Lorsque les Du ont été informés de la sentence, ils ont présenté une demande d’ordonnance visant l’annulation de la sentence pour défaut de donner un avis devant le tribunal populaire intermédiaire de Shenzhen (le « tribunal de Shenzhen »). Le tribunal de Shenzhen a rejeté cette demande, concluant que les Du avaient reçu l’avis d’arbitrage en se fondant sur l’avis donné aux personnes morales dont ils avaient le contrôle.
Avis insuffisant
L’ONSC a statué que les Du n’avaient pas reçu un avis d’arbitrage suffisant. D’abord, en vertu de la garantie-caution, les avis livrés par la poste étaient réputés avoir été reçus seulement lorsqu’ils « ont été signés par le destinataire ». Les Du n’ont jamais signé pour indiquer la réception de documents d’arbitrage, et la tribunal a conclu qu’il n’y avait aucune preuve selon laquelle le dirigeant d’une personne morale qui avait signé avait qualité pour recevoir signification au nom des Du en leur capacité personnelle.
Ensuite, le tribunal a conclu que le contexte de la pandémie avait de l’importance. Bien que les Du n’aient jamais changé leur adresse de réception d’un avis (une exigence de la garantie-caution — un élément qui semble avoir échappé au tribunal), ils étaient en contact avec le responsable de TDH par messages au moyen de WeChat, et lui ont dit qu’ils demeureraient au Canada pour une durée indéterminée. TDH n’a jamais informé la SCIA de cela, et les documents envoyés à l’adresse du domicile des Du à Beijing ont été retournés pour être tombés en rebut.
Chose jugée
TDH a fait valoir que la suffisance de l’avis était chose jugée, le tribunal de Shenzhen ayant rendu une décision sur la demande d’ordonnance visant l’annulation de la sentence. Cependant, l’ONSC a statué que le tribunal de Shenzhen n’avait pas déterminé si les Du avaient reçu un avis suffisant en vertu de la Loi type. Appliquant la loi chinoise, le tribunal de Shenzhen avait soutenu que les documents d’arbitrage étaient « réputés » avoir été signifiés aux Du d’après leur signification aux personnes morales dont ils avaient le contrôle. (Il y a lieu de se poser la question de savoir si la compréhension qu’a le tribunal de la loi chinoise est exacte, étant donné qu’il a considéré la loi en traduction et sans instructions détaillées quant à sa signification.)
Les Du ont également fait valoir la préclusion liée à une question en litige en leur faveur fondée sur une action en justice intentée à Hawaï, où l’exécution a également été demandée par TDH. Cependant, l’action en justice intentée à Hawaï visait à faire exécuter l’ordonnance de reconnaissance de la sentence rendue par le tribunal chinois, plutôt qu’à reconnaître la sentence elle-même, et l’affaire a été jugée en vertu de la loi intitulée Hawaii Recognition Act, et non en vertu de la loi intitulée Federal Arbitration Actdes États-Unis. En conséquence, le tribunal a statué que la décision relative à l’exécution rendue à Hawaï ne pouvait donner lieu à la préclusion pour même question en litige aux fins d’une demande devant un tribunal ontarien relativement à une sentence étrangère rendue en vertu de la Loi type.
Commentaire
Du point de vue d’un avocat spécialisé en arbitrage, l’affaire TDH c. Du contient un peu de tout. Bien que l’exécution de l’ordonnance ait été refusée, rien n’indique qu’il y ait opposition à l’arbitrage, et le jugement montre une bonne compréhension du mode d’arbitrage international, de la convention de New York et de la Loi type. Néanmoins, les renvois répétitifs au terme « signification » au lieu d’« avis », et à la règle de signification d’un avis en vertu des Règles de procédure civile de l’Ontario indiquent que le tribunal ontarien s’est peut-être fondé d’une manière inappropriée sur les normes et les concepts relatifs au litige.
Voici les trois principaux enseignements à retenir de l’affaire TDH c. Du :
- Un avocat devrait prendre en compte les répercussions de la pandémie sur un avis d’arbitrage, et il devrait examiner si les exigences en matière d’avis (contractuelles ou autres) ont été satisfaites d’une manière rigoureuse pendant les confinements associés à la pandémie;
- La suffisance de l’avis en vertu de la loi du siège n’est pas une garantie d’arriver à une conclusion que l’avis est suffisant dans une procédure d’exécution. Si les règles du siège diffèrent de celles de la Loi type, un tribunal chargé de l’exécution pourrait examiner la question de nouveau;
- Au moment d’exécuter une sentence qui a été reconnue et exécutée au sein du siège de l’arbitrage, les parties peuvent choisir de demander la reconnaissance et l’exécution de la sentence elle-même ou celles de l’ordonnance du tribunal reconnaissant celle-ci. Cependant, les deux ne sont pas identiques, et ce choix peut influer sur la capacité d’une personne de tabler sur les procédures d’exécution engagées dans d’autres pays.
Joshua Karton, Arb.B., est professeur agrégé en droit à l’Université Queen’s et arbitre indépendant. Ses recherches et sa pratique se concentrent sur le droit commercial et le règlement des différends, en particulier l’arbitrage commercial international et l’arbitrage de différends en matière d’investissement.