Un jeu de patience : Les normes de contrôle pour les recours en arbitrage
Par Alison Burns
Depuis la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, l’incertitude règne quant aux normes de contrôle applicables aux recours en arbitrage. Cette question importante continue de provoquer des dissensions entre les tribunaux inférieurs, et pourtant les cours d’appel du Canada ont toujours refusé de fournir les orientations requises pour traiter directement de cette question.
Introduction
« Des conflits de jurisprudence ont été soulevés par l’application de l’arrêt [Vavilov] aux recours en arbitrage (…) Cette question doit être tranchée » [traduction].
Tels étaient les mots des juges Côté, Brown et Rowe dans leur jugement concordant dans l’affaire Wastech Services Ltd. c. Greater Vancouver Sewerage and Drainage District[1], il y a plus de deux ans. Ils témoignent d’un conflit qui perdure au sein des tribunaux du pays. Si les praticiens connaissent bien la norme du caractère raisonnable ostensiblement établie par les arrêts Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp.[2] et Teal Cedar Products Ltd. c. British Columbia[3], la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov[4] a soulevé de nouvelles questions quant à la norme applicable. La Cour suprême du Canada a estimé que lorsque le législateur a prévu de faire appel d’une décision administrative devant un tribunal, les normes de contrôle en appel énoncées dans l’affaire Housen v. Nikolaisen[5] s’appliquent. Cela est d’autant plus vrai que les juges concourants dans l’affaire Wastech ont conclu qu’à la lumière de l’arrêt Vavilov, les normes de contrôle énoncées dans l’arrêt Housen régissent les recours en arbitrage.
Depuis l’arrêt concordant dans l’affaire Wastech, cette question n’a malheureusement pas été tranchée. Au cours de l’année écoulée, les tribunaux de première instance du pays ont continué à suivre des approches différentes, certains soutenant que le raisonnement suivi dans les affaires Sattva et Teal Cedar était toujours valable, tandis que d’autres estimaient que l’arrêt Vavilov avait supplanté ces décisions. Entre-temps, les cours d’appel ont suivi l’exemple de la majorité dans l’affaire Wastech, refusant de fournir aux tribunaux de première instance les orientations dont ils ont tant besoin en en évitant d’aborder directement la question.
Approches des tribunaux inférieurs
Au cours de l’année écoulée, on a constaté un manque d’uniformité dans les décisions des tribunaux de première instance provinciaux sur ce point, à la fois entre les tribunaux de différentes instances et même entre les jugements rendus par un même tribunal.
Un bon exemple en est donné par la décision de la Cour suprême de l’Ontario dans l’affaire D Lands Inc. c. KS Victoria and King Inc[6]. Dans cette affaire, le juge Dietrich, s’appuyant sur les observations concordantes de l’arrêtWastech, a estimé que l’arrêt Vavilov avait modifié la norme applicable aux recours contre les sentences arbitrales. Plutôt que le critère du caractère raisonnable présenté dans les affaires Sattva et Teal Cedar, ce sont les normes de contrôle pour appel de l’affaire Housen qui s’appliquent. Cela signifie que la norme de contrôle pour un appel sur une question de droit extricable était la norme du bien-fondé. Moins d’un mois plus tard, cette même cour, dans l’affaire Serbcan Inc. c. National Trust Co.[7] a jugé que le raisonnement suivi dans les affaires Sattva et Teal Cedar était toujours valable et a maintenu que, jusqu’à ce que la Cour suprême du Canada en décide autrement, la norme de contrôle applicable était celle du caractère raisonnable.
Les deux lignes de raisonnement incohérentes appliquées dans ces décisions de la Cour suprême de l’Ontario ont également été appliquées par d’autres tribunaux provinciaux. La Cour du Banc du Roi de l’Alberta a suivi une approche similaire à celle de la Cour de l’Ontario dans l’affaire D Lands dans sa récente décision dans l’affaire Esfahani c. Samimi[8]. À la différence des décisions antérieures de la même Cour, il a été décidé dans l’affaire Esfahani que le raisonnement appliqué dans l’affaire Vavilov devait être suivi. Toutefois, la Cour a noté dans sa décision que la norme de contrôle pouvait varier d’un tribunal à l’autre en fonction de la législation respective en matière d’arbitrage.
D’autre part, dans l’affaire Christie Building Holding Company, Limited c. Shelter Canadian Properties Limited[9], la Cour du Banc du Roi du Manitoba a récemment appliqué un raisonnement similaire à celui utilisé par la Cour de l’Ontario dans l’affaire Serbcan. La Cour a estimé que la norme applicable était celle du caractère raisonnable, en déclarant que les arrêts Sattva et Teal Cedar sont contraignants sous réserve d’une clarification par la Cour suprême du Canada des effets de l’arrêt Vavilov.
Cours d’appel provinciales
Si les cours supérieures provinciales sont divisées sur la question, les cours d’appel ont quant à elles pris l’habitude de la différer. On peut observer dans tous les tribunaux de cours d’appel refusent de prendre une position ferme sur ce que devrait être la norme de contrôle appropriée.
La Cour d’appel de la Colombie-Britannique s’est toujours abstenue de donner une réponse claire sur la norme de contrôle applicable. À titre d’exemple, dans l’affaire Escape 101 Ventures Inc. c. March of Dimes Canada[10], la Cour a refusé de trancher cette question, estimant qu’il n’était pas nécessaire de le faire pour rendre son jugement. La Cour d’appel de l’Ontario a adopté la même approche dans l’affaire Ontario First Nations (2008) Limited Partnership c. Ontario Lottery and Gaming Corporation[11].
Plus récemment, dans l’affaire Efsahani c. Samimi[12], la Cour d’appel de l’Alberta a rejeté un appel de la décision du Banc du Roi dans l’affaire Efsahani. Comme on pouvait s’y attendre, la Cour n’a pas abordé directement les commentaires du tribunal inférieur sur l’applicabilité des arrêts Sattva et Teal Cedar dans les décisions rendues après l’arrêt Vavilov. En lieu et place, la Cour a de nouveau estimé que l’application d’une norme différente n’aurait en rien modifié le résultat. Par conséquent, nous ne disposons toujours pas d’indications sur la norme de contrôle applicable.
Points à retenir
Après l’arrêt Vavilov, la norme de contrôle appropriée pour les recours contre les sentences arbitrales demeure incertaine. Bien que la question ait été soulevée dans l’affaire Wastech, la Cour suprême du Canada n’a pas fourni d’indications supplémentaires et les cours d’appel ont toujours évité de répondre à la question, laissant les tribunaux de première instance continuer à s’appuyer sur leurs propres interprétations des commentaires de la Cour suprême du Canada dans les affaires Vavilov et Wastech. Cette question est mûre pour être tranchée directement et clairement par une cour d’appel. D’ici là, les avocats devraient réfléchir à la manière dont le tribunal et la législation connexe pourraient influer sur les appels de sentences arbitrales qu’ils pourraient être amenés à traiter.
Le commentaire du juge Marion dans l’affaire Esfahani résume bien la situation : « Nous devons tous attendre des éclaircissements additionnels sur cette question, mais en attendant, les tribunaux provinciaux sont divisés sur la question ou la reportent à plus tard. » [traduction]. On peut se demander combien de temps il faudra attendre.
[1] Wastech Services Ltd. c. Greater Vancouver Sewerage and Drainage District, 2021 SCC 7 [Wastech].
[2] Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., 2014 SCC 53 [Sattva].
[3] Teal Cedar Products Ltd. c. British Columbia, 2017 SCC 32 [Teal Cedar].
[4] Canada (Minister of Citizenship and Immigration) c. Vavilov, 2019 SCC 65 [Vavilov].
[5] Housen c. Nikolaisen, 2002 SCC 33 [Housen].
[6] D Lands Inc. c. KS Victoria and King Inc., 2022 ONSC 1029 [D Lands].
[7] Serbcan Inc. c. National Trust Co., 2022 ONSC 2644 [Serbcan].
[8] Esfahani c. Samimi, 2022 ABKB 795 [Esfahani].
[9] Christie Building Holding Company, Limited c. Shelter Canadian Properties Limited, 2022 MBKB 239.
[10] Escape 101 Ventures Inc. c. March of Dimes Canada, 2022 BCCA 294.
[11] Ontario First Nations (2008) Limited Partnership c. Ontario Lottery and Gaming Corporation, 2021 ONCA 592.
[12] Efsahani c. Samimi, 2023 ABCA 220.
Alison Burns est associée en litige chez Blake, Cassels et Graydon, LLP. Elle fournit un large éventail de services de résolution de litiges civils et possède de l’expérience en matière d’arbitrages à l’échelle nationale et internationale, ainsi que dans les litiges commerciaux complexes.