Commentaire de la décision Tessier c. 2428-8516 Québec inc. : l’extension de la clause compromissoire dans « l’intérêt de la justice », quid du consentement ?
Par Yassine Alaoui
Dans une récente décision, la Cour supérieure du Québec a étendu l’effet de la clause compromissoire à des parties non-signataires au nom de « l’intérêt de la justice », sans rechercher leur éventuel consentement, même tacite, à l’arbitrage. Un tel motif d’extension de la clause compromissoire semble inopportun, en ce qu’il occulte le rôle fondamental du consentement dans le droit de l’arbitrage. Bien que l’issue soit positive, cette décision constitue, à notre avis, une occasion manquée de développer au Québec la doctrine du consentement tacite à l’arbitrage.
L’extension de l’effet de la clause compromissoire aux non-signataires est relativement controversée en ce qu’elle bouscule deux principes fondamentaux du droit des obligations, soit ceux du consentement des parties et de l’effet relatif du contrat selon lesquels seules les parties à un contrat sont tenues par celui-ci[1]. Or, la jurisprudence québécoise, à l’image de plusieurs autres juridictions, admet qu’il est possible d’attraire, dans certaines circonstances, une partie à l’arbitrage même si elle n’y a pas expressément consenti.
Toutefois, à l’inverse d’autres juridictions[2], les tribunaux québécois n’ont pas adopté une approche méthodique à l’application de la clause compromissoire aux non-signataires, ni toujours tenté de réconcilier cette dernière avec l’enjeu central du consentement à l’arbitrage. En effet, les arrêts de la Cour d’appel du Québec révèlent plutôt une approche au cas par cas, se voulant prudente et pragmatique, en fonction des circonstances propres à chaque affaire[3].
Une récente décision de la Cour supérieure du Québec (« la Cour »), Tessier c. 2428-8516 Québec inc.[4], s’inscrit dans la droite ligne de cette jurisprudence appliquée in concreto. Dans cette affaire, le demandeur Tessier et les demandeurs Mandeville soulevaient la même trame factuelle au soutien de leur demande conjointe, devant les juridictions étatiques, d’être reconnus seuls actionnaires des sociétés défenderesses Construction La-Ray et LR Concept Design, respectivement. Une clause compromissoire avait été insérée dans la convention unanime d’actionnaires de la société Construction La-Ray et liait donc le demandeur Tessier. En revanche, ni la société LR Concept Design, ni les demandeurs Mandeville n’avaient signé de clause compromissoire. Ceci n’a pas empêché la Cour d’étendre l’effet de la clause compromissoire contenue dans la convention unanime d’actionnaires de la société Construction La-Ray aux demandeurs Mandeville et à la défenderesse LR Concept Design au motif que, les deux litiges étant « intimement liés », il était dans l’intérêt de la justice de ne pas scinder l’affaire, notamment afin de ne pas « priver les actionnaires de Construction La-Ray des effets de la clause compromissoire de la convention unanime d’actionnaires du seul fait que les actionnaires de LR Concept Design n’y ont pas librement consentie »[5].
L’issue de cette affaire n’est en soi ni surprenante ni contrariante. L’intérêt de la décision découle plutôt du choix de la Cour de justifier l’extension de clause compromissoire à des tiers par l’intérêt de la justice et de référer à l’article 1 du Code de procédure civile, lequel impose aux parties de « considérer le recours aux modes privés de prévention et de règlement de leur différend avant de s’adresser aux tribunaux ». Ce faisant, la bonne administration judiciaire prime la volonté des parties et, de l’avis de la Cour, devient un motif suffisant pour soustraire à sa compétence un litige sur lequel elle serait autrement compétente.
Cette motivation parait critiquable en ce qu’elle fait peu de cas de la question du consentement, fondement même de l’arbitrage dont il tire toute sa légitimité. Il y avait pourtant matière à justifier l’extension de la clause compromissoire par le consentement tacite des non-signataires. En effet, la Cour relève que les deux sociétés défenderesses œuvraient de concert dans l’exécution de contrats de construction et qu’elles avaient établi leur siège social à la même adresse[6]. L’on pouvait donc envisager, à partir de ces éléments, que la défenderesse LR Concept Design, soit par son immixtion dans l’exécution des contrats conclus par la société Construction La-Ray, soit par la confusion d’identité qu’elle entretenait avec cette dernière, avait tacitement consenti à la clause compromissoire et justifier l’extension de la clause compromissoire à la société LR Concept Design et aux demandeurs Mandeville sur cette base.
L’on peut regretter que la Cour n’ait pas contemplé cette possibilité. En effet, il nous parait préférable de maintenir la légitimité de l’arbitrage sur le consentement des parties, notamment en développant la notion de consentement tacite, épousée par d’autres juridictions telles que la France[7]. A l’inverse, fonder le recours à l’arbitrage sur « l’intérêt de la justice » occulte sa nature consensuelle et volontaire, et risque de le faire paraitre comme la roue de secours des tribunaux judiciaires et, in fine, de le déprécier. Dans ces circonstances, il n’est pas inutile de souligner que le Code de procédure civile, dans cette même disposition que cite la Cour dans sa décision, débute par un rappel que « [l]es modes privés de prévention et de règlement des différends sont choisis d’un commun accord par les parties intéressées, dans le but de prévenir un différend à naître ou de résoudre un différend déjà né »[8].
[1] Article 1440 du Code civil du Québec : « Le contrat n’a d’effet qu’entre les parties contractantes ; il n’en a point quant aux tiers, excepté dans les cas prévus par la loi. »
[2] A titre d’exemple, les tribunaux français retiennent une approche fondée sur l’identification du « consentement » implicite du tiers à l’aide d’indices dits objectifs tels que son immixtion dans la négociation, la conclusion, l’exécution et/ou la résiliation du contrat, inaugurée dans les arrêts Dow Chemical de la Cour d’appel de Paris du 21 octobre 1983 et Cotunav de la Cour de Cassation, Chambre civile 1, du 25 juin 1991, 90-11.485.
[3] Décarel inc. c. Concordia Project Management Ltd., 1996 CanLII 5747 (QC CA), paras 4-6. ; Société Asbestos limitée c. Lacroix, 2004 CanLII 76694 (QC CA), paras. 34-35.
[7] Voir note de bas de page no. 2.
[8] Article 1 du Code de procédure civile (nos soulignements)
Yassine Alaoui – Membre du Barreau du Québec, Yassine Alaoui exerce en arbitrage international au sein du cabinet Teynier Pic, situé à Paris, France.