Un tribunal britannique décide qu’une ordonnance d’exécution en nature est une « sentence ».
Par Timothy St. John Ellam, KC, FCIArb et Alison Bond
L’exécution des sentences arbitrales est l’une des raisons pour lesquelles les parties choisissent de recourir à l’arbitrage plutôt qu’aux tribunaux. Dans l’affaire YDU contre SAB et BYH [2022] EWHC 3304, la Cour suprême britannique a jugé qu’une ordonnance d’exécution en nature assortie de conditions pouvant être modifiées par le tribunal constituait une « sentence » définitive et contraignante au sens de la Loi sur l’arbitrage de 1996, qui régit les arbitrages en Angleterre et au Pays de Galles. Cette décision revêt une grande importance pour ce qui est de l’exécution des décisions, en particulier dans la mesure où elle confirme que dans certaines circonstances, un tribunal peut conserver sa compétence pour surveiller l’exécution de sa sentence.
Aperçu de l’affaire
L’arbitrage portait sur l’achat par SAB d’actions préférentielles d’YDU dans BYH, une entreprise commune dans laquelle les deux parties avaient des intérêts[1]. Un différend quant au droit de SAB d’acheter ces actions est survenu, et le tribunal a ordonné une exécution en nature exigeant que YDU transfère les actions préférentielles à SAB sous certaines conditions qui pouvaient être modifiées par le tribunal[2].
YDU a demandé à la Cour suprême britannique de se prononcer sur le fait que certains paragraphes de l’ordonnance ne constituaient pas une sentence au sens de la Loi sur l’arbitrage et qu’ils n’étaient par conséquent ni définitifs ni contraignants. YDU a fait valoir que certains paragraphes « n’étaient pas définitifs, car le tribunal avait l’intention de les modifier au besoin, et les a d’ailleurs modifiés à certains égards. Un tribunal arbitral n’a pas les mêmes pouvoirs qu’une cour. Il ne peut pas modifier une sentence après l’avoir rendue. Il peut modifier une décision, mais pas une sentence [traduction] »[3].
SAB soutenait que les paragraphes de l’ordonnance en question constituaient une sentence définitive parce qu’ils « étaient de nature substantielle et non procédurale et qu’ils indiquaient clairement qu’il s’agissait d’une sentence [traduction] »[4]. Subsidiairement, si les paragraphes ne constituaient pas une sentence définitive, SAB a invoqué l’article 39 de la Loi sur l’arbitrage, la règle 25.1 London Court of International Arbitration (« LCIA ») Rules et la convention d’arbitrage figurant dans la convention d’actionnaires pour soutenir qu’il s’agissait soit d’une sentence provisoire, soit d’une ordonnance péremptoire[5].
Décision de la cour
La cour a conclu que les paragraphes contestés constituaient bel et bien une « sentence » et qu’ils étaient définitifs et contraignants au sens de la Loi sur l’arbitrage. La cour a examiné la réserve exprimée par le tribunal quant à sa compétence pour réexaminer la sentence. La cour a déclaré que « la position habituelle est que si une sentence a été rendue, l’arbitre est dessaisi des questions décidées », mais a poursuivi en déclarant qu’il était « trop dogmatique et arbitraire de dire qu’une sentence ne peut jamais être réexaminée [traduction] ». [6]
La Loi sur l’arbitrage ne donne aucune définition du terme « sentence ». L’article 52 définit la forme d’une sentence et l’article 58 indique simplement que l’effet d’une « sentence » est définitif et contraignant. Cependant, la cour a décidé, en se fondant sur trois analyses, que les paragraphes pertinents de l’ordonnance du tribunal constituaient une sentence. Il s’agit des analyses suivantes :
(a) La Loi sur l’arbitrage donne au tribunal les mêmes pouvoirs que ceux conférés à la cour pour ordonner une exécution en nature, à moins que les parties n’en décident autrement[7]. La cour a déclaré que, conformément à cette règle et aux principes généraux de l’article 1 de la Loi sur l’arbitrage, elle « devait donner effet aux procédures et aux décisions adoptées par un tribunal qui cherchent à rendre effective une ordonnance d’exécution en nature qu’il a rendue, et à en assurer la surveillance »[8].
(b) Dans cette affaire, le tribunal a rendu une ordonnance d’exécution en nature et a fixé les conditions dans lesquelles cette exécution devait avoir lieu, se réservant le droit de rendre d’autres sentences sur la question de savoir si et comment l’exécution en nature a été effectuée[9]. La cour a déclaré que, sur la base de cette analyse, la décision du tribunal était définitive parce que celui-ci n’aurait pas pu réexaminer les paragraphes contestés sans un changement de circonstances[10].
(c) Le paragraphe le plus contesté consistait en une mesure provisoire « préservant les droits ou les biens dans l’attente d’un événement précis ou d’une nouvelle ordonnance [traduction] »[11]. En vertu de la convention d’arbitrage, une mesure provisoire est une sentence définitive[12].
(d) Les paragraphes pertinents constituent une sentence provisoire[13]. La cour a estimé que le prononcé d’une sentence provisoire relevait de la compétence du tribunal en vertu des règles de la LCIA et qu’une telle sentence resterait soumise à la décision définitive du tribunal[14].
Portée de la décision
La décision de la cour vient appuyer l’un des principaux avantages de l’arbitrage, à savoir l’exécution des sentences arbitrales. La Convention de New York sur la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères facilite l’exécution des sentences arbitrales entre les États qui ont signé la convention. En acceptant qu’une sentence puisse être rendue sous conditions, le tribunal se réservant la compétence de modifier ces conditions, la cour a confirmé qu’il existe une marge de manœuvre quant à ce qui constitue une sentence. La décision confirme également que le tribunal peut à juste titre se réserver la compétence sur certaines questions et même modifier une sentence dans certaines circonstances. Par conséquent, même lorsqu’elles sont soumises à l’examen des tribunaux, la nature définitive et contraignante des sentences arbitrales et la compétence du tribunal à leur égard sont garanties et les parties peuvent bénéficier des mécanismes d’exécution qui sont importants à leurs yeux. La cour n’a pas abordé, et c’est tout à fait compréhensible, les complications pratiques potentielles liées au maintien de la compétence de surveillance du tribunal et à la nécessité présumée, à un moment ou à un autre, d’y mettre fin.
[1] YDU contre SAB et BYH [2022] EWHC 3304 (Comm), par. 2.
[2] YDU contre SAB et BYH [2022] EWHC 3304 (Comm), par. 9.
[3] YDU contre SAB et BYH [2022] EWHC 3304 (Comm), par. 20.
[4] YDU contre SAB et BYH [2022] EWHC 3304 (Comm), par. 24.
[5] YDU contre SAB et BYH [2022] EWHC 3304 (Comm), par. 25 et 26.
[6] YDU contre SAB et BYH [2022] EWHC 3304 (Comm), par. 33 et 34.
[7] YDU contre SAB et BYH [2022] EWHC 3304 (Comm), par. 35.
[8] YDU contre SAB et BYH [2022] EWHC 3304 (Comm), par. 35.
[9] YDU contre SAB et BYH [2022] EWHC 3304 (Comm), par. 35.
[10] YDU contre SAB et BYH [2022] EWHC 3304 (Comm), par. 36.
[11] YDU contre SAB et BYH [2022] EWHC 3304 (Comm), par. 37.
[12] YDU contre SAB et BYH [2022] EWHC 3304 (Comm), par. 37.
[13] YDU contre SAB et BYH [2022] EWHC 3304 (Comm), par. 38.
[14] YDU contre SAB et BYH [2022] EWHC 3304 (Comm), par. 35.
Timothy St. John Ellam, KC, FCIArb est partenaire au sein du groupe de résolution de litiges McCarthy Tétrault à Calgary, en Alberta, et à Londres, au Royaume-Uni. Il codirige le groupe d’arbitrage international de la firme. Monsieur Ellam est membre de la Law Society of Alberta et de la Law Society of England and Wales.
Alison Bond est partenaire au sein du groupe de résolution de litiges McCarthy Tétrault à Toronto, en Ontario, et est membre du groupe d’arbitrage international de la firme. Madame Bond est membre de la Law Society of Ontario et de la Law Society of England and Wales.